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prononcer des sentences, s’il n’y a pas une main année pour réprimer la sédition ? Or cette main-là nous manque, et chacun n’obéit que selon qu’il lui plaît. La guerre est donc éternelle, puisque chacun se dit roi. » Martin Mayr, sachant bien que l’indolent Frédéric III ne montrerait jamais à l’Allemagne cette main de justice qu’elle réclamait, avait conçu l’idée, non pas de remplacer l’empereur, mais de lui donner un coadjuteur puissant sous le titre, de roi des Romains. Il songea d’abord à Philippe de Bourgogne, puis à l’archiduc d’Autriche, frère de Frédéric III. Bientôt enfin, ayant vu le roi George aux fêtes d’Égra, ayant admiré l’ordre qui régnait en Bohême, la sécurité des routes, la bonne administration de la justice, il crut avoir trouvé l’homme que la Providence réservait à l’Allemagne. Il lui envoya donc une supplique, une exhortation, dès le mois de février 1460, pour stimuler son âme, qu’il savait ardente et généreuse. » Quel autre que vous, lui écrivait-il, peut donner l’ordre et la justice à l’empire d’Allemagne ? Vous êtes par votre puissance le premier des électeurs ; de plus, vous êtes étranger aux querelles qui divisent les princes, et c’est pour cela qu’ils viennent tous à vous, demandant des conseils ou des secours. Quand l’empereur lui-même a besoin d’une prompte assistance, c’est à vous qu’il s’adresse. Je dirai donc à votre majesté : Osez, osez une grande chose ! Relevez le saint-empire romain ! Vous vous assurerez par là une mémoire éternellement glorieuse. Il faut parler d’abord à l’empereur et aux princes, et savoir s’ils ne seraient pas disposés à vous laisser l’administration de l’état. J’ai lieu de croire qu’ils ne s’y refuseront pas. Quelle occasion pour vous d’augmenter votre puissance et votre renommée ! »

George fit un accueil enthousiaste aux idées de Martin Mayr. Les négociations relatives à cette affaire remplirent l’année 1460, sans aboutir à aucun résultat. Accepté par les uns, tenu en suspicion par les autres à cause de cette puissance même qui avait séduit Martin Mayr, le roi de Bohême ne devint pas roi des Romains. Qu’importe ? cette candidature, si sérieusement discutée, attestait assez haut le rang qu’il s’était conquis en Allemagne, et si l’on songe à toutes les hostilités qui se dressaient contre lui des le lendemain de son couronnement, il est impossible de ne pas admirer ce mélange de sagesse et de vigueur, d’esprit patriotique et de vastes pensées, qui caractérisa tout d’abord la politique du glorieux parvenu. Qu’on ait reconnu ou non le titre que souhaitait pour lui la haute diplomatie européenne, George de Podiebrad était en réalité, à la fin de l’année 1460, le pacificateur de l’Allemagne et le coadjuteur de l’empire.