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droit dans les lois, c’est de mettre la nation dans la législature. Autrement la loi serait le caprice, le bénéfice d’un homme ou d’une classe, en un mot l’arbitraire, ce qu’il y a de plus opposé à l’idée de droit. Parlant de liberté politique, je trouve superflu, pour ne pas dire mieux, de m’arrêter à ce point de vue du droit ; il me répugne de prouver que la liberté est un droit français. Entamer à ce propos une discussion régulière, il me semble que ce serait mettre en compromis et en arbitrage l’honneur de la nation. Tant pis pour qui demande ici une démonstration : elle lui serait donnée qu’il ne la comprendrait pas. La liberté ne se prouve pas plus que le soleil. Laissons là les espèces qui ne la voient pas.

Au surplus, il y a bien d’autres légitimités, bien d’autres nécessités pour charger telle nation de son propre gouvernement. La liberté est chose qui arrive, qui s’impose d’elle-même dans une société progressive ; c’est l’hygiène ou plutôt la santé des nations adultes. La civilisation fait la liberté, quand elle n’en vient pas ; la liberté est l’achèvement logique d’une nation policée, une tête qui pousse d’elle-même à tous les développemens de vie et d’organes que suscite le progrès. Quand un peuple prend possession de la nature, quand il excelle à constituer des mandataires, à créer partout des pouvoirs (ce qui est le fait de l’association), comment les pouvoirs publics, le mandat politique, resteraient-ils en dehors de ses prises et de son contrôle ?

L’ascension politique est inévitable parmi des hommes parvenus à ces conquêtes, nantis de ces instrumens. L’activité et la puissance des esprits, par où ils se répandent en maîtres sur le monde physique et économique, ne peut les laisser en dehors du monde officiel, c’est-à-dire en dehors d’une sphère où habitent des influences qui peuvent leur être soit des auxiliaires, soit des ennemis. En même temps qu’un pays est entraîné vers la chose publique par toutes les forces qui lui viennent, celle-ci, par cela même, ne peut être la chose d’un homme. Les pouvoirs publics perdent non-seulement le droit, mais la faculté d’être absolus. On peut bien dire dans le sens fiscal qu’où il n’y a rien, le roi perd ses droits. Il ne les perd pas moins (je parle du roi absolu) où il y a cette accumulation de trésors qui distingue un grand peuple. Comment tant de lumières générales, de connaissances positives, de combinaisons, de conduite apprise, de raison et de moralité publiques, pourraient-elles tenir dans la main d’un homme ? Où est l’homme assez grand pour conserver sur la société de nos jours les proportions de supériorité que Charlemagne, Henri IV même, avaient sur leurs contemporains ? Il n’y a aucune raison de croire que la nature soit épuisée de grands hommes. Pourquoi donc aurait-elle renoncé à ce produit quand elle ne cesse d’ailleurs de s’épancher en créations immondes et servîtes ?