Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/861

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jupiter le permettra par amour pour Hercule et parce que le nom de son fils de prédilection n’en sera que plus glorieux sur la terre. Telle est la pensée presque chrétienne, unique en tout cas dans ces régions fabuleuses, et qui ressemble à une cime déjà colorée d’un soleil encore sous l’horizon, par laquelle se termine l’histoire de Prométhée selon le chantre d’Ascra.

D’autres traditions mythiques voulaient que Prométhée lui-même eût épousé Pandore. Ailleurs on le disait époux de l’océanide Hésione. D’après Hérodote au contraire, on lui donnait pour épousé Asia, comme si le souvenir s’était conservé de la partie du monde où l’humanité et la civilisation prirent également naissance. C’est une raison du même genre qui a fait désigner les régions caucasiennes comme le lieu de son supplice. La race hellénique se rappelait vaguement qu’elle avait laissé l’innocence et la sauvagerie derrière les hautes montagnes qui séparent l’Europe de l’Asie. Encore aujourd’hui les légendes tcherkesses parlent aux voyageurs de géans attachés et tourmentés sur les pics du Caucase. D’autres récits mythiques faisaient d’Asia la mère de l’inventeur du feu. Hésiode lui-même rattache à Prométhée la famille hellénique tout entière par Prynéia[1] ou Pyrrha, ses épouses. Il s’en faut que, malgré le travail évident de coordination que décèlent les poèmes hésiodiques, toutes les assertions qu’ils contiennent sur les dieux et les généalogies divines soient concordantes.

Dans d’autres traditions enfin, Prométhée joue un rôle assez difficile à concilier avec sa légende la plus répandue. Ainsi ce serait lui qui, lors de la naissance de Minerve, aurait fendu le front de Jupiter. Ordinairement c’est à Vulcain que la fable attribue cet office. Cette variante s’explique toutefois par l’identité originelle des deux personnages mythiques, qui sont l’un et l’autre des déterminations grecques de l’Agni védique. En même temps elle nous reporte vers la vieille idée aryenne du pramantha céleste, faisant revenir la lumière éteinte. Minerve-Athéné en effet personnifie le ciel éthéré, reparaissant pur et brillant après l’orage qui l’avait obscurci. Le pramantha, producteur du tonnerre, se changea en marteau entre les mains du forgeron Vulcain[2], et ne fit que se personnifier sous le nom de Prométhée.

Si de plus on se rappelle les rapports, saisis de très longue date, entre l’office du pramantha et la génération humaine, on comprendra non-seulement pourquoi, dans toutes ses légendes, Prométhée est considéré comme l’ami des hommes et leur bienfaiteur, mais encore

  1. Contraction probable de Prôtogénéia.
  2. La massue ou le marteau de Thor, le Jupiter germanique, lui est aussi attribué en sa qualité de producteur de la foudre.