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et sa joie, et qui devient son bourreau. Assurément nous ne prétendons pas que telle soit l’idée que l’homme des temps mythologiques a voulu sciemment envelopper dans le tragique symbole de Prométhée enchaîné sur son rocher ; mais n’avons-nous pas le droit de dire que c’est là au fond le sentiment qui l’a inspiré, surtout quand nous voyons ce sentiment des souffrances prolongées par lesquelles l’homme expie son indépendance de l’ordre physique et ses audacieuses conquêtes se reproduire dans toute la suite de cette histoire ?

À leur tour, les hommes, qui ont profité du larcin de Prométhée, apprendront à leurs dépens qu’on ne se moque pas de Jupiter. Celui-ci ordonne à Vulcain, autre dieu du feu, mais de la famille olympienne et aveuglément obéissant à ses ordres, de pétrir avec de la boue une statue de vierge d’une beauté de déesse. Chacune des divinités célestes la dote d’un charme spécial. Minerve-Athéné lui enseigne les beaux-arts ; Vénus anime ses traits de sa propre expression, qui fait que les cœurs sont blessés à mort de son doux regard ; Mercure lui apprend le secret des paroles emmiellées, de l’indifférence égoïste, des ruses félines, et quand les Grâces ont encore ajusté son voile, sa couronne et ses colliers d’or, quand les Saisons ont paré sa tête des fleurs du printemps, Jupiter fait conduire la ravissante créature, la belle Pandore, vers Épiméthée, le frère du titan torturé. Par rapport à celui-ci, Épiméthée représente une sorte de contre-partie de l’esprit humain. Il n’est pas dépourvu d’intelligence, mais il ne sait jamais en faire usage à propos. Son esprit paresseux et lourd ne s’éveille à la conscience du mal que quand il est trop tard. C’est en vain que le prévoyant Prométhée l’avait averti d’avance de repousser les dons de Jupiter. Épiméthée était un réaliste qui dédaignait d’habitude les prévisions chagrines des idéologues ; il tomba aux pieds de Pandore, trop heureux de voir son amour agréé. La suite funeste ne se fit pas attendre. La belle coquette avait reçu une amphore mystérieuse et fermée qu’elle ouvrit dans un mouvement de curiosité féminine. Aussitôt une foule de maux auparavant inconnus sur la terre se répandit sur l’humanité, les soucis, les crimes, les maladies mortelles. Pandore épouvantée voulut refermer précipitamment l’amphore ; mais elle était déjà presque vide, et l’espérance seule était demeurée prise entre le rebord et le couvercle.

Dans cette fable ingénieuse, nous trouvons un exemple de ce travail de raccordement que les poètes comme Hésiode ont opéré en combinant les narrations isolées des mythologies locales de manière à en faire des histoires suivies. Pandore a dû être à l’origine une personnification de la terre fertile. Si les dieux comme les livres n’avaient pas leurs destinées, elle aurait pu devenir une Cérès, une