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d’exposer tout au long en vertu du privilège de la science qui purifie tout ce qu’elle touche, il nous suffira d’indiquer de loin à nos lecteurs le rapport assez naturel qui devait s’établir entre cette manière de produire le feu et la reproduction de la vie humaine, N’est-elle pas, elle aussi, un feu intérieur ? L’être producteur du feu est donc bien près de devenir le créateur ou le formateur, dans tous les cas l’ami de la race humaine. C’est cette analogie qui porta les Aryens à composer ordinairement leur instrument à feu d’un bâton provenant d’un arbre, parasite ou poussé dans le creux d’un autre arbre (ce qui, à leurs yeux, revenait au même) et d’un disque provenant de l’arbre antérieur. Il y avait dans cette réunion une sorte de mariage. À cela se joignit aussi l’idée que le parasite provenait d’une graine ignée, insérée par un oiseau porte-feu. Enfin le soleil lui-même n’est pour eux qu’un grand disque, une roue enflammée qui tourne dans le ciel, s’éteint chaque soir, et que chaque matin les Açwins, divinités crépusculaires, rallument avec un pramantha d’or. Si pendant le jour il lui arrive de s’éteindre parfois dans le nuage orageux, Indra sait aussi le rallumer avec son puissant pramantha, le tonnerre. C’est une chose fort étrange que le sentiment de l’humanité primitive en face de la nature. Bien des mythes, bien des détails mythiques du moins, démontrent qu’aux premiers jours où l’homme ouvrit un œil curieux sur le monde et commença à réfléchir sur tout ce qui s’y passait, il n’était pas bien sûr que le soleil disparu le soir reviendrait le lendemain. C’est le soleil considéré comme une roue qui nous a valu plus tard les chars et les chevaux mythologiques. C’est encore la même conception qui se trouve à la base d’une singulière coutume assez répandue autrefois dans les régions germaniques, et qui s’est conservée jusqu’à nos jours sur les bords de la Moselle et en Souabe. En 1779, Trêves était encore le théâtre d’une cérémonie du même genre. On faisait rouler du haut d’une montagne jusque dans le fleuve une grande roue recouverte de paille et traversée par une forte barre de bois. On mettait le feu au moment de la lancer, et le disque enflammé se précipitait dans la direction de la rivière aux cris bruyans de la foule attirée par ce spectacle. Si le disque arrivait sans s’éteindre jusque dans l’eau, l’allégresse était générale, car on se promettait une année d’abondance pour les vignobles d’alentour : pittoresque superstition qui se rattache, dans les profondeurs de l’antiquité, à la tige commune d’où la poétique mythologie de la Grèce a tiré l’histoire de son Phaéton[1].

  1. Il est visible en effet que cette cérémonie n’a pas d’autre but que de représenter le cours annuel du soleil, et l’heureuse réussite de l’opération signifie que l’astre favorable aux vignes accomplira jusqu’au bout et sans interruption son fécondant office. C’est le propre de toutes les religions où le spiritualisme ne domine pas de confondre le symbole primitif avec l’objet qu’il représente, et d’attribuer à celui-là les vertus de celui-ci. Dans le Poitou, on faisait aussi courir une roue enflammée à travers champs pour avoir une bonne récolte.