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que Bhrigu ou les Bhrigus, devenus fiers et irrespectueux envers les dieux, par suite du pouvoir qu’ils doivent à la possession du feu, ressentent les effets de la colère de Varouna, irrité de leur insolence. En Grèce, la fable parlait d’un mortel appelé Phlégyas, et de son peuple, les Phlégyens, dont le nom a la même racine et le même sens que Bhrigu. Les Phlégyens habitaient la Phocide, aux mêmes lieux où l’on disait que Prométhée avait formé ou civilisé les hommes. Devenus impies et profanateurs des sanctuaires, ils furent précipités dans le Tartare. Les germes du grand mythe commencent à se montrer.

Ce fut, dès l’origine, le propre de la race aryenne de ne jamais se contenter du progrès accompli, d’aspirer à de nouvelles conquêtes, et en particulier de simplifier ou de faciliter par des moyens mécaniques les opérations de la vie quotidienne. L’art de produire le feu par le frottement de deux morceaux de bois mus simplement par la main de l’opérateur était difficile, pénible, d’un succès toujours douteux. Il semble que les cruelles punitions qui menaçaient les vestales oublieuses proviennent du temps où l’extinction du feu était une vraie calamité. Notre race se devait à elle-même de n’être pas toujours soumise à de pareilles terreurs. Dès la plus haute antiquité, nous la voyons en possession d’un ingénieux instrument fondé sur la propriété qu’a le bois de s’enflammer par le frottement, mais destiné à hâter beaucoup la production du feu. Un disque de bois creusé au milieu, un bâton qui tourne perpendiculairement, à la manière d’un foret ou d’une tarière, dans le trou pratiqué au centre du disque, voilà cet instrument. On imprime au bâton un rapide mouvement de rotation, alternativement à droite et à gauche, au moyen d’une lanière enroulée autour de la partie supérieure, et dont l’opérateur tient les deux extrémités. Encore aujourd’hui dans l’Inde on applique ce procédé, qui était également très connu des anciens Européens. Les Grecs nommaient l’instrument pyréia, et le bâton forant trupanon[1]. Le feu des vestales, quand il s’éteignait, devait être rallumé chez les Romains par le même moyen. Chez les Germains, à défaut de renseignemens écrits, de singulières coutumes encore en vigueur nous attestent que ce procédé fût aussi en usage, et que, dans la pensée de ceux qui l’employaient à une époque où il n’était plus indispensable, il passait pour le moyen originel et divin auquel l’homme devait la possession de l’élément céleste et purificateur. Ainsi, pour allumer les feux dits de nécessité (nothfeuer), dans l’espoir de conjurer les épizooties ; on se servait, et on se sert encore quelquefois, dans des districts écartés, d’une roue dans le moyeu de laquelle on fait tourner rapidement un

  1. D’où est venu le mot trépan.