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« Garibaldi est un honnête homme, un brave. Je ne lui veux aucun mal. Il veut aller à Rome et à Venise, et moi aussi. Personne n’est plus impatient que nous d’y arriver. » Aucun vrai patriote italien et hors de l’Italie aucun de ceux qui prennent un loyal intérêt à cette cause ne peuvent souhaiter la perte de Garibaldi ; l’humiliation ou la destruction de ce vigoureux instrument de la révolution italienne. Sans doute Garibaldi est un auxiliaire ou un initiateur souvent incommode ; mais en temps de révolution et dans un régime libre les concours les plus utiles sont par momens très embarrassans. Il vaut mieux en tirer parti malgré les désagrémens qu’ils causent que de les user et de les détruire. Or le meilleur moyen d’en tirer parti, et jusqu’à un certain point de les contenir, c’est de marcher ouvertement, par les grands chemins, comme disait M. de Cavour, au but où l’on aspire ensemble ; c’est de faire flotter au moins avec éclat le drapeau commun, et non de le mettre dans sa poche. Telle a été en général la position prise par les ministères italiens depuis 1859 à l’égard de Garibaldi. Dans un discours prononcé le mois dernier, un des collègues les plus actifs de M. de Cavour et du baron Ricasoli, M. Peruzzi, définissait avec justesse cette position. Sous MM. de Cavour et Ricasoli, il y avait entre le ministère et le général Garibaldi une alliance latente. Des deux côtés, on avait le même objet, le seul que l’on puisse déclarer aujourd’hui, Rome ; le ministère le poursuivait par les moyens moraux qui étaient à sa disposition, surtout par un appel incessant à l’opinion. Lorsque M. Rattazzi est arrivé au pouvoir, l’alliance entre le gouvernement et le général des volontaires a pris un caractère plus marqué de publicité. Le jour où le cabinet fut formé, le général qui était à Turin rendit visite aux nouveaux ministres. Plusieurs de ses amis les plus connus furent nommés à des postes politiques ou militaires importans. Un de ses compagnons d’armes les plus actifs, le général Bixio, a un ascendant notoire sur le ministère, dont il est le puissant défenseur. Avant Sarnico, le cabinet s’était montré disposé à affecter une somme considérable à un emploi indiqué par le parti de l’action. Quand on récapitule ces diverses circonstances, on ne sait comment expliquer la rupture qui s’est accomplie entre le gouvernement et Garibaldi. Cette rupture n’est-elle qu’apparente ? Nous avouons que, s’il y avait là une feinte, elle dépasserait notre intelligence. Nous prenons donc, si le mot de rupture parait trop fort, la séparation comme réelle. À nos yeux, le cabinet circonspect qui à Turin préconise l’alliance française et se place sous son puissant patronage ne peut pas être secrètement d’accord avec le général qui, à Palerme et à Marsala, vitupère le gouvernement français et prêche de nouvelles vêpres siciliennes. Nous nous demandons alors quelle a pu être la cause de ce divorce ? Ne serait-ce pas que le ministère aurait cru à tort que les impatiences du parti d’action pourraient être apaisées par des négociations avec les personnes, en mettant à l’écart pour quelque temps le programme qui passionne l’opinion italienne, et par l’exécution duquel cependant la passion nationale peut uniquement être contenue et conduite ? En émettant cette