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C’est une phase nouvelle qui commence dans cette étrange affaire.

À regarder de près la suite et les péripéties aussi mobiles que confuses de cette expédition, il y a eu sans doute bien des illusions, et je ne puis contester la justesse de ces paroles du président du conseil de Madrid, le général O’Donnell, prononcées à un moment où il ne croyait à rien d’irréparable : « On a commis bien des fautes ; mais au lieu d’en exagérer l’importance, ce qui aurait du danger à une si grande distance, il faut songer à les réparer. » La première de toutes les fautes peut-être, et elle est celle de tout le monde, a été de s’engager dans une telle entreprise sans savoir où on allait, sans un sentiment précis des difficultés réelles et sans une règle commune d’action. Une autre faute qui ne serait plus maintenant que celle de la France, dont la France seule aurait la responsabilité et paierait le prix, serait d’accepter des solidarités qui pourraient l’affaiblir plus que servir son action, d’identifier sa cause avec celle d’une des factions qui se disputent depuis si longtemps le pouvoir dans cette malheureuse république. Au milieu des partis qui s’agitent, la France ne peut avoir qu’un rôle, celui de la médiation, de la conciliation ; c’est le rôle défini par les plénipotentiaires français dans la proclamation qu’ils adressaient aux Mexicains dès le lendemain de la rupture d’Orizaba. « Nous ne sommes pas venus ici, disaient-ils, pour prendre une part dans vos dissensions ; nous sommes venus pour les faire cesser. Ce que nous voulons, c’est appeler tous les hommes de bien à concourir à la fondation de l’ordre, à la régénération de ce beau pays. Nul homme éclairé ne croira que nous soyons venus dans l’intention de restaurer d’anciens abus et des institutions qui ne sont plus de ce siècle. Nous voulons une justice égale pour tous, et nous voulons que cette justice ne soit point imposée par nos armes. Le peuple mexicain doit être le premier instrument de son salut. » Et si on oppose encore que c’est là une entreprise contre le principe de l’indépendance des peuples, je ferai remarquer qu’en ce moment la France est justement en guerre au Mexique avec un pouvoir qui a songé tout d’abord à vendre une portion de son territoire aux États-Unis, pour soutenir la lutte contre une puissance qui veut au contraire sauver son intégrité. La France n’a point de passions de parti à soutenir, pas plus qu’elle n’a de conquête à faire au Mexique, et dans cette double condition cette entreprise, où une fatalité nous a entraînés, qui a ses côtés ingrats, qui irrite plus qu’elle ne séduit, est encore une œuvre où la pacification d’un pays peut jusqu’à un certain point compenser des sacrifices trop dangereux pour qu’ils puissent être souvent renouvelés, et pour qu’ils ne servent pas d’enseignement.


CH. DE MAZADE.