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par les représentans de deux des puissances alliées ne laissant plus même à leurs gouvernemens la liberté d’un jugement, du choix d’une politique. Que les Anglais prissent le parti de se retirer matériellement de l’expédition, il n’y avait là rien que d’assez conforme à leur politique, à leurs engagemens. L’Angleterre s’était toujours refusée à un mouvement dans l’intérieur ; après la convention de la Soledad, elle avait retiré une partie de ses forces, le reste s’embarquait après la conférence d’Orizaba. Le gouvernement anglais n’avait pas visiblement espéré beaucoup de l’expédition ; il ne pouvait s’émouvoir. Pour l’Espagne, la question était bien autrement grave. Cette retraite précipitée était une véritable déception, une sorte d’abdication d’influence. Depuis bien des années, l’Espagne attendait, cherchait cette occasion d’une intervention européenne pour paraître au Mexique ; l’occasion venue, elle se hâtait de partir la première, comme emportée par son ardeur, et elle tenait à montrer sur ces rivages une armée nombreuse et brillante. Quatre mois après, où en était-elle ? Ses troupes se rembarquaient obscurément sur des navires anglais sans avoir rien fait, sans avoir obtenu une réparation ; elle avait perdu deux mille hommes par la maladie ou les désertions, dépensé plusieurs millions, pour en venir là. Que fera-t-elle aujourd’hui ? Attendra-t-elle qu’un gouvernement soit constitué au Mexique pour présenter de nouveau la liste de ses réclamations ? Ce triste et peu glorieux résultat est évidemment le prix d’une politique toujours flottante, allant de contradictions en contradictions entre ce que veut le cabinet de Madrid et ce que fait son plénipotentiaire au Mexique. — Le gouvernement espagnol veut une action énergique et prompte, et le général Prim incline visiblement à la paix dès le premier moment. Le cabinet de la reine Isabelle ne veut point donner à M. Juarez la force morale d’une reconnaissance, et le comte de Reus reconnaît indirectement le pouvoir de M. Juarez. À Madrid, on accepte l’idée d’une réorganisation du Mexique, même sous la forme monarchique ; le plénipotentiaire espagnol crible cette monarchie possible de ses railleries et se fait le garant de l’attachement des Mexicains à la république. M. Calderon Collantes écrit qu’il faut aller à Mexico, qu’aucune puissance ne doit y paraître avant les Espagnols, et au même instant l’embarquement s’accomplit déjà, si bien que dans cette voie le gouvernement espagnol, toujours devancé par les résolutions de son plénipotentiaire, qu’il ne désavoue ni n’approuve, est réduit à écrire cette triste épitaphe de l’expédition espagnole : « L’embarquement des troupes est un fait regrettable et irréparable. » Et c’est ainsi que la France est restée seule au Mexique, ayant à conduire une entreprise où la question d’honneur militaire domine toute considération politique depuis que notre petite armée a été arrêtée dans sa marche sur Mexico.