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gouvernement mexicain, la politique enfin de l’amiral français n’abdiquant nullement la pensée de l’alliance, mais espérant obtenir par la paix, par la persuasion, ce qu’il ne pouvait poursuivre par une action plus énergique. Cette attitude, au reste, n’impliquait nullement de la faiblesse et ne voulait pas dire que l’amiral subordonnât ses mouvemens à une autorisation du gouvernement mexicain. Le 25 février, comme la ratification des préliminaires de la Soledad tardait à arriver, il faisait prévenir le général Prim qu’il se mettrait en marche le lendemain matin, ce qui irritait fort au premier instant le comte de Reus. Et l’amiral partait en effet ; il rencontra bientôt des forces mexicaines, et un officier parlementaire vint au-devant de lui, l’informant qu’on n’avait rien reçu de Mexico. L’amiral répondit qu’il laissait trois quarts d’heure pour aller consulter le général mexicain, et puis qu’il s’ouvrirait un chemin par la force, si on ne lui cédait le terrain ; on n’eut point à se battre.

Un fait d’ailleurs prouvait immédiatement à quel point cette temporisation, qui semblait une énigme en Europe, était une inévitable nécessité. Pour gagner les plateaux du Mexique, où on rencontre Cordova, puis Orizaba, enfin Tehuacan, avant-garde des positions assignées aux alliées, il y a de dix à quinze étapes. Il fallait franchir le défilé du Chiquihuite, au-delà duquel on trouve un climat plus sain et des campagnes plus fertiles ; mais d’abord il y avait à traverser un désert immense et désolé, sous un soleil torride. Dans cette première marche de quelques lieues à partir de la Tejeria les soldats tombaient exténués, et les plus aguerris avouaient qu’ils n’avaient jamais fait une marche plus rude en Afrique ; le quart des hommes à peine suivait la colonne jusqu’au premier campement. Ce n’est pas tout : le convoi, formé à grand’peine, restait dispersé sur un espace de plus de trois lieues. Les mules sauvages qu’on s’était procurées brisaient leurs traits et se roulaient dans le sable. Malgré toutes les combinaisons, on ne pouvait être assuré que de deux jours de vivres en arrivant à Orizaba. Voilà où sept semaines de travaux et d’efforts incessans avaient mené l’armée française ! Et voilà, ajouterai-je, où en était l’expédition quatre mois, après le traité du 31 octobre 1861 ! Ce n’est que le 13 mars 1862 que la colonne française arrivait à Tehuacan, tandis que les Espagnols gagnaient Orizaba, et que le petit nombre d’Anglais qui restait au Mexique, après un rembarquement récent, s’arrêtait à Cordova. — Dans cette situation nouvelle, l’expédition était dégagée d’un péril d’insalubrité ; mais politiquement elle n’avançait pas, elle ne se dessinait pas avec plus de clarté : elle faisait halte entre l’imprévu, qui pouvait surgir de toutes parte, sous toutes les formes, et l’incertitude des résolutions que les premiers actes de l’intervention pouvaient inspirer aux gouvernemens en Europe. La séparation momentanée des plénipotentiaires,