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pour une intervention avait été signé, je ne pus accepter cette offre avantageuse, ainsi que je l’eusse fait certainement en suivant mes inspirations. » Sir Charles Wike comptait sur M. Manuel Doblado. M. Dubois de Saligny avait plutôt des engagemens avec le parti opposé. Seul peut-être, l’amiral Jurien de La Gravière arrivait sans lien, sans engagement, portant dans cette affaire les qualités d’un esprit conciliant et fin, d’un caractère aussi élevé que loyal, mais ayant aussi à compter avec les difficultés d’une opération où il ne disposait que de forces inférieures à celles du général Prim. C’est entre toutes ces volontés que devait se combiner une action où il y avait à interpréter à chaque pas un traité qui pouvait se prêter à toutes les politiques, et où la première question, était de savoir quelle attitude il fallait prendre vis-à-vis du gouvernement existant au Mexique.

Présenter l’ultimatum des réclamations européennes, exiger en garantie l’occupation temporaire de certains points du Mexique, si ces réclamations étaient accueillies, et, si elles n’étaient point acceptées, tenter une marche sur Mexico pour en appeler au pays, pour le provoquer à se reconstituer, c’était là évidemment la pensée des gouvernemens alliés ; mais c’est là que commençait la déception. Marcher d’accord et pouvoir marcher, c’était là, je le répète, la condition première. Dès le débarquement, on ne s’entendait plus sur rien. Dès la première conférence, tenue à la Vera-Cruz par les plénipotentiaires, le conflit éclatait à l’occasion des réclamations françaises, de ce qu’on a appelé la créance de la maison Jecker. Sir Charles Wike se refusait absolument à prêter l’appui de la conférence à cette réclamation. Je n’ai point certes le dessein d’apprécier la valeur et la moralité de cette créance Jecker, de cette somme de 15 millions demandée à M. Juarez pour 750,000 piastres prêtées à Miramon à la veille de sa chute ; mais ici il y avait une bien autre question : il s’agissait de savoir comment les réclamations devaient être présentées, isolément ou solidairement, si chacune des puissances était juge des prétentions des autres. Le général Prim ne s’y méprenait pas, il faut le dire ; il sentait la gravité de la question au point de vue de l’Espagne. « Si chacun, écrivait-il, doit présenter seul ses demandes sans s’inquiéter de celles des autres gouvernemens, l’Espagne pourrait se voir dans cette mauvaise position d’avoir à soutenir seule ses querelles, car il ne serait pas impossible que la France et l’Angleterre, voyant le gouvernement espagnol se refuser à appuyer leurs réclamations, cédassent aux instances faites par les autorités mexicaines auprès de leurs représentans pour que ceux-ci se prêtent à un arrangement d’où seraient exclues les réclamations espagnoles, ce qui créerait au gouvernement de sa majesté une situation