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d’une telle entreprise à la merci des interprétations divergentes et des résolutions contradictoires d’agens livrés à eux-mêmes à deux mille lieues de l’Europe, se contrariant entre eux, contrariant les vues de leurs gouvernemens, et exposés à accomplir des actes irréparables avant de pouvoir être redressés dans leur manière d’envisager les choses. Une fois au Mexique, il fallait en un mot, comme on l’a dit, pouvoir marcher et marcher d’accord. Une intelligence intime et forte était d’autant plus nécessaire qu’on allait se trouver dans une contrée lointaine, sur un terrain inconnu, en face de pouvoirs violens et faibles, dont toute la tactique est de gagner du temps, de se sauver par la ruse, de faire le vide devant les interventions, d’attirer les agens étrangers dans le piège de négociations évasives, de chercher à diviser les représentans européens quand ils ont affaire à plusieurs puissances. Malheureusement, sauf la nécessité d’obtenir des réparations, de venger des griefs, et la résolution d’agir en commun, tout était laissé dans une dangereuse obscurité, et c’est ainsi que commençait une expédition où, sous l’apparence d’une action collective, allaient éclater tous les antagonismes, toutes les contradictions, aggravés par l’éloignement, préparant à l’influence européenne une des plus difficiles épreuves qu’elle ait subies dans le Nouveau-Monde.

Qu’arrivait-il en effet ? L’expédition partait au mois de novembre. Elle devait se rallier à La Havane, et, il faut le dire, ce point de ralliement, qui ne souriait pas à l’Angleterre, le gouvernement français l’avait accepté dans un sentiment de galanterie envers l’Espagne, à qui il laissait volontiers le premier rôle en ce moment. Outre les forces navales, le corps de débarquement espagnol devait être de six ou sept mille hommes ; les forces françaises ne dépassaient pas deux mille cinq cents hommes ; le contingent anglais se composait d’un millier de soldats de marine. L’expédition était à peine partie que les surprises commençaient. À son arrivée dans les eaux des Antilles, elle trouvait l’escadre anglaise tout occupée de l’affaire du Trent, qui venait d’éclater, et plus portée à tourner ses regards vers les États-Unis que vers le Mexique. L’affaire du Trent était une complication, en ce sens qu’elle pouvait d’un instant à l’autre attirer dans une lutte assurément plus sérieuse toutes les forces anglaises. En touchant à La Havane, on se trouvait en face d’un autre incident. L’expédition espagnole était déjà partie pour le Mexique sans attendre même le général Prim, comte de Reus, qui devait la commander ; elle était arrivée devant la Vera-Cruz vers les premiers jours de décembre ; elle avait sommé les autorités mexicaines de rendre la ville et le fort de Saint-Jean-d’Ulloa, et les Mexicains s’étaient retirés, laissant les Espagnols débarquer sans