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absolument la justice de cette réprobation, — et sans nous faire l’avocat de tel ou tel succès acheté trop cher, dont le paradoxe immoral a fait tous les frais, — nous dirons, preuves en mains cette fois, — que les dévergondages d’imagination, les témérités de pinceau existent aussi dans la pudique Angleterre. Il ne leur manque, pour faire éclat, peut-être pour faire école, que la vivacité du style et l’habitude de ce qu’on pourrait appeler les « roueries » du métier.

Inquiétant phénomène qui provoque naturellement à réfléchir sur certaines questions épineuses et complexes soulevées encore tout récemment par un écrit anglais sur la population et le commerce de la France[1] ! L’auteur, après avoir complaisamment énuméré nos qualités, exposant le revers de la médaille et passant en revue nos défauts, nous déclarait nettement incorrigibles. Selon lui, l’indépendance de notre caractère, l’insoumission de notre esprit, surtout l’absence de tout instinct religieux, se sont opposés jusqu’ici et s’opposeront toujours à une réforme essentielle. Là-dessus, vertes semonces de maint critique, et l’un d’eux exprime son dissentiment dans quelques phrases trop caractéristiques, trop curieuses, pour n’être pas textuellement reproduites.


« Il nous paraît, dit il, que le grand obstacle à l’amélioration des Français est leur haine de l’Angleterre et leur crainte traditionnelle de passer pour nos imitateurs, crainte soigneusement entretenue par une portion fanatique de leur clergé, puis aussi par les plus ardens zélateurs du parti républicain. Lorsqu’une longue durée de rapports amicaux les aura convaincus que nous ne sommes point une race perfide et que nous ne leur voulons aucun mal, nous estimons qu’ils ne se refuseront plus aux enseignemens utiles que nous leur pouvons offrir, que les travaux de la paix donneront plus d’assiette à leur caractère, que l’expérience modérera ce que leur élan peut avoir d’excessif, et que les sérieuses préoccupations de la vie industrielle mettront de plus en plus en lumière les nombreuses qualités par lesquelles Ils se recommandent à l’estime des autres peuples. »


Si vaniteux et si étourdis qu’on nous suppose, nous sommes gens à ne pas nous révolter contre cette bienveillance un peu gourmée, ces pronostics empreints d’une si naïve condescendance. Aucune partialité vaine, aucun amour-propre déplacé ne nous empêchera de reconnaître qu’effectivement les Anglais ont à nous donner, de même qu’ils peuvent nous devoir, dès qualités qui manquent aux uns comme aux autres. Qu’ils nous communiquent, nous nous en trouverons bien, leur sage docilité envers la loi, leur respectueuse

  1. Population and Trade in France in 1861-62, by Frederick Marshall ; London, Chapman and Hall.