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fondée sur des calculs de vanité ; le séducteur qui a su les exploiter, désenchanté de sa victoire, commence à voir clair dans cette âme sordide et basse. Le tout finit (et de là, cette surprise à laquelle nous avons fait allusion) par une conversation entre ces deux personnages ; Laura laissant percer, à travers sa malveillance et ses mépris, une jalousie rétrospective de cette affection que Walter a pu reporter tout entière sur sa belle, mais « insipide » cousine, tandis que Merton, gardant à peine les formes d’une galanterie moqueuse, s’amuse à la tourmenter, en insistant au contraire sur la tendresse, le dévouement de la jeune épousée. Après le dernier mot de cette causerie sournoisement hostile, le récit s’arrête, et l’imagination du lecteur est appelée à suppléer tout ce qui manque au bonheur des jeunes mariés, au châtiment de l’intrigante Laura, aux désillusions tardives de son infortuné mari. M. Noell Radecliffe s’est dit, sans nul doute, que, dans le monde tel qu’il est, la vertu n’a pas toujours sa récompense, ni le vice sa légitime rétribution : en ceci certes nous n’avons pas à le contredire ; mais il est absolument contraire aux lois de la poétique reçue de laisser ainsi suspendu l’intérêt d’une fable quelconque, et le lecteur fort embarrassé de savoir pourquoi l’écrivain a pris la plume.

Si nous voulions grossir le fascicule de ces analyses romanesques, rien ne nous serait plus aisé. Nous avons encore, dans le catalogue de nos récentes lectures, une idylle rustique,[1], peinture exacte des mœurs de la paysannerie anglaise, et un gros drame de la vie privée assez habilement machiné par l’auteur d’East Lynne[2], un des « romans à succès » de l’an dernier. Il nous semble cependant qu’en voilà bien assez pour la bonne volonté des lecteurs qui auront consenti à nous accompagner dans cette excursion par monts et par vaux, faite sans autre guide que le bâton du pèlerin, ou, si l’on veut, la baguette de coudrier. Cette fois la baguette magique n’a pas frémi dans nos mains, et ne nous a mis, à vrai dire, sur la trace d’aucune source vive et d’aucun trésor caché. Nous ne regrettons pourtant ni notre temps ni nos peines. De cette promenade au hasard, toute d’aventure et de caprice, nous rapportons des impressions générées qui, si elles étaient partagées, rendraient nos voisins plus charitables pour la tendance générale de notre littérature. Le roman français, on le sait, est pour eux l’abomination de la désolation, et il n’est fils de bonne mère qui ne se voile la face devant les scandales dont Paris écrivant afflige le monde. Sans vouloir contester

  1. Crow’s Nest Farm a true tale, by Julla Addison ; 1 vol. Saunders, Otley ahd C°, 1861.
  2. The Earl’s Heirs, a tale of domestic Life, Philadelphia ; Peterson and Brothers (édition américaine) ; 1 fort volume.