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voit échouer ses meilleurs plans, avorter ses combinaisons les mieux ourdies. Lucy, quelque bornée que paraisse son intelligence, déploie assez de dissimulation et d’adresse pour contraindre ses parens à lui laisser épouser un riche dandy dont elle s’est éprise et dont elle ne comprendra que trop tard, si elle les comprend jamais, l’orgueilleuse ineptie, l’implacable égoïsme, l’autolâtrie monstrueuse. Sophy, elle, a mieux placé ses affections ; mais elle les cache trop bien, dans son impénétrable fierté, au beau cousin irlandais qui, sans le savoir, est devenu le « mari de ses rêves. » Rebuté par ses dehors froids et dédaigneux, Ulick O’More se laisse aller au penchant bien naturel que lui inspire une jeune institutrice d’origine française, séduisante par ses malheurs autant que par son aménité modeste et sa grâce enfantine. Edmund enfin, après s’être épris, lui aussi, de cette aimable jeune fille et avoir vainement tenté de vaincre les obstacles opposés à leur union, las de lui-même, découragé par ses incessantes rechutes, va chercher dans la sévère discipline des camps l’appui moral dont sa faiblesse a besoin. Il y trouve une mort glorieuse, mais prématurée, sur le champ de bataille de Balaklava, et si la jeune belle-mère n’est pas absolument responsable de ce dénoûment tragique, encore peut-elle s’accuser, encore s’accuse-t-elle en effet de plus d’une faute commise par elle, tandis qu’elle avait la direction de cette existence si tôt moissonnée.

Ainsi se justifie le second titre du roman, qui est bien la « chronique des erreurs » d’Albinia en même temps que celle de ses consciencieux efforts et de ses infatigables dévouemens. Au moment où nous l’abandonnons, ses regrets, ses remords se sont apaisés. Elle accepte comme autant de leçons providentielles les résultats malheureux de son intervention toujours bienveillante, et comme autant de récompenses les rares épis qui ont fleuri sur le vaste champ par elle ensemencé. « Réjouis-toi malgré tes chutes, se dit-elle avec le poète. Les revers qui t’affligent enseigneront la victoire à qui saura les comprendre. Que ton labeur incomplet et semé de troubles ne soit pas un tourment pour ta conscience ! Ce lot, tel que Dieu l’a fait, s’adapte exactement, dans ses vastes desseins, au lot de qui te succède. » C’est l’épigraphe et c’est aussi la morale de ce long récit essentiellement vrai, prodigue de détails, sobre de couleur, d’une moralité qui n’a rien de trop austère, œuvre consciencieuse et saine d’une femme d’esprit, d’une observatrice minutieuse, à qui de fréquens succès ont peut-être donné ses coudées un peu trop franches.

Telle fut aussi en son temps mistress Trollope, dont les fils semblent tenir à perpétuer la réputation. L’un d’eux, qui a longtemps résidé en Italie, nous donne aujourd’hui un tableau de la vie toscane