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prennent part à ces récits et aux controverses dont chacun d’eux est l’objet sont peints avec des différences de physionomie, de sentimens et de caractères précisées et nuancées qui ne se rencontrent pas parmi les figures plus vagues et par conséquent plus imaginaires qui figurent dans le Décaméron de Boccace. Les devisans de l’Heptaméron sont assez caractérisés pour qu’on ait cherché à découvrir le véritable nom de chacun d’eux sous les noms de fantaisie que leur donne Marguerite ; mais on en est réduit sur ce point à des conjectures : on avait cru jusqu’ici par exemple que la dame Oisille, personne âgée, dévote, qui parle souvent de la Bible et de la messe, qui exprime d’ordinaire les sentimens les plus austères, et à laquelle tous les interlocuteurs témoignent du respect, représentant la reine de Navarre elle-même. Ce portrait moral lui ressemble beaucoup en effet à l’âge qu’elle avait à l’époque où elle rédigea l’Heptaméron. Le dernier éditeur de ce recueil pense, contrairement à l’opinion la plus générale, que ce n’est pas elle-même que Marguerite a voulu représenter sous ce nom, mais sa mère Louise de Savoie, qu’elle aurait ressuscitée (car celle-ci était morte depuis assez longtemps au moment de la composition de l’Héptaméron, comme pour associer le souvenir maternel aux dernières distractions de son esprit. Les deux argumens sur lesquels s’appuie cette opinion sont tirés l’un de l’espèce d’anagramme de Loise que présente le nom d’Oisille, écrit dans quelques manuscrits Oisile ou Osile, l’autre de l’antipathie que Louise de Savoie, dans un fragment de journal laissé par elle, exprime contre les moines, sentiment qui se retrouve assez souvent dans la bouche de la dame Oisille. Ces deux argumens ne me paraissent pas très concluans, et quant au dernier, s’il s’applique à Louise de Savoie, il s’applique également à Marguerite, qui sur ce point partageait complètement les sentimens de sa mère, tandis que celle-ci ne nous a rien laissé qui nous autorise à lui attribuer cette nuance marquée de ferveur religieuse par laquelle la dame Oisille ressemble à la reine de Navarre, surtout dans les dernières années de sa vie. Ce serait la dame Parlamente, personne plus jeune et plus vive, laquelle, dit le texte, n’était jamais oisive ni mélancolique, qui, suivant M. Leroux de Lincy, représenterait plus particulièrement Marguerite d’Angoulême. Il y a en effet dans ce personnage des nuances d’enjouement alliées à une sentimentalité délicate et romanesque qui se retrouvent aussi dans le caractère de l’auteur. C’est ainsi que dans la discussion qui suit la dix-neuvième nouvelle, Parlamente nous dira : « Encore ai-je une opinion que jamais homme n’aimera parfaitement Dieu qu’il n’ait parfaitement aimé quelque créature en ce monde. — Qu’appelez-vous parfaitement aimer ? dit Saffredent. Estimez-vous parfaits amans ceux qui sont transis et qui adorent les dames de