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laquelle manquaient, je regrette de le dire, les travailleurs, un concours des races humaines qui allait apprendre au monde que la paix a aussi ses victoires.

À une heure et quart, la procession royale, annoncée par un bruit de trompettes, entra dans la salle, qui présentait alors un spectacle merveilleux. L’éclat des uniformes militaires ou civils au milieu desquels se remarquaient des uniformes et des costumes étrangers, les drapeaux de toutes les nations, qui ne s’étaient guère rencontrés jusque-là que sur les champs de bataille, et qui confondaient leurs couleurs, ombrageant de leurs plis pour la seconde fois le champ pacifique de l’industrie, les ministres, les généraux et les hommes d’état de la vieille Angleterre réunis au milieu des trophées d’instrumens de travail aussi beaux que les faisceaux d’armes, et non moins glorieux aux yeux de l’économiste, tout cela, éclairé par le soleil de mai, qui rayonnait pompeusement dans le ciel bleu à travers la voûte transparente de l’édifice, proclamait une de ces fêtes ou, comme disent les Anglais, un de ces jubilés industriels qui marquent dans l’histoire d’une nation et de l’humanité. En face du cortège, une estrade immense se confondait, par les degrés supérieurs, avec la grande rosace de vitraux peints qui orne l’extrémité de la nef centrale, sous l’un des dômes. Cette estrade, occupée par une autre rosace de têtes éclairées de toutes les couleurs du kaléidoscope, produisait à distance l’effet le plus fantastique. C’était l’orchestre : parmi les choristes se détachait une nuée de femmes aux riches chevelures relevées par les fleurs, aux fraîches toilettes, et dont les mains gantées agitaient à la fois des milliers d’éventails. On eût dit, selon la comparaison d’un Anglais debout à mes côtés, une gigantesque queue de paon qui faisait la roue, tant les vives couleurs, les plumes, l’or et les perles vraies ou fausses éclataient dans cet hémicycle. L’absence de la reine, qui, par un motif respectable, n’avait pas voulu marier un deuil récent à la splendeur d’une fête, était généralement regrettée. C’était le duc de Cambridge qui, en sa qualité de prince du sang, présidait à la cérémonie. Après une adresse du comité et une réponse du duc, une grande composition de Meyerbeer, qui était présent dans la salle, une ouverture d’Auber, une cantate de Tennyson, le poète lauréat de l’Angleterre, une prière de l’évêque de Londres au Dieu « qui a fait du même sang toutes les nations de la terre, » et l’antienne nationale God save the queen, le duc de Cambridge déclara que « l’exposition de 1862 était ouverte. » Ce fut un moment électrique : la voix des trompettes et des clairons, à laquelle répondaient en dehors de l’édifice l’écho des bouches à feu sur les bords de la Serpentine et un immense hourra lancé par vingt mille poitrines, tout répétait à la ville et à l’univers la grande nouvelle.