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et vaillant, était âgé de vingt-quatre ans, et Marguerite, qui le connaissait depuis longtemps, avait trente-cinq ans quand elle l’épousa après deux ans de veuvage ; il est donc permis de douter, quoi qu’en dise l’historien dont je parlais tout à l’heure, qu’elle ait beaucoup pleuré le jour de son mariage ; l’hypothèse inverse me semble infiniment plus probable. On voit bien dans plusieurs de ses lettres, notamment dans celles qui sont adressées au maréchal de Montmorency, qu’elle n’est pas toujours contente de ce second mari, dont la légèreté lui donne des inquiétudes jalouses, vainement dissimulées par elle sous une apparence de raillerie ; mais ce qu’on n’y voit jamais, c’est que ce jeune mari lui soit indifférent. Et ce qui aide à croire qu’en effet elle ne le détestait pas, c’est que l’histoire de ses grossesses nombreuses et souvent pénibles remplit une très grande partie de sa correspondance avec son frère. J’aime assez, pour ma part, à la voir, comme une brave, simple et honnête femme qu’elle est, éprouver quelque embarras à apprendre à son frère qu’elle est encore grosse à l’âge de cinquante ans. « Si je n’avais que vingt ans, lui écrit-elle, j’oserais dire ce que cinquante me font taire jusqu’à ce que autre que moi soit juge en ma cause, » c’est-à-dire jusqu’à ce que sa grossesse soit certifiée authentique par les médecins. Ce phénomène d’une grossesse à cinquante ans est en effet assez rare ; mais on conviendra qu’il jure un peu avec la prétendue indifférence de Marguerite pour Henri d’Albret. Cette dernière grossesse se termina, comme quelques autres, par une fausse couche ; la reine de Navarre perdit aussi des enfans en bas âge, et l’on sait qu’elle ne put sauver qu’une fille, Jeanne d’Albret, qui fut la mère de Henri IV.

Que tout en aimant très tendrement ses deux maris, ou au moins l’un ou l’autre, Marguerite ait éprouvé même une préférence de cœur pour le roi son frère, un tel fait, qui peut se rencontrer dans des conditions d’existence beaucoup plus ordinaires, il aurait en lui-même rien de suspect. Et encore, pour décider la question, faudrait-il pouvoir comparer des lettres de Marguerite au duc d’Alençon ou à Henri d’Albret avec celles qu’elle écrit à son frère. Si les élémens de cette comparaison étaient sous nos yeux, peut-être verrions-nous Marguerite exprimer la tendresse conjugale avec d’autres nuances, mais avec les mêmes tours hyperboliques dont elle use pour exprimer la tendresse fraternelle. Non-seulement ces formes de langage étaient fort usitées de son temps, mais elles étaient particulièrement dans les habitudes de son esprit et de sa plume, car nous les retrouvons un peu modifiées, mais cependant très analogues, aussi bien dans les lettres d’amitié qu’elle adresse au maréchal de Montmorency que dans ses lettres à François Ier.

Il faut d’ailleurs, avant de se laisser étonner par ce style continuellement enthousiaste, se souvenir que le frère à qui elle écrit est en