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découverte faite, il y a quelques années, au sujet de la reine de Navarre, et d’examiner sur quels fondemens elle s’appuie.

Cet examen nous importe à plusieurs points de vue. D’abord, en se plaçant au point de vue de la vérité et de la justice, il ne saurait être indifférent à personne de savoir si une femme, intéressante non par son titre de princesse, mais par la bonté de son cœur, la noblesse de son caractère et les agrémens de son esprit, a mérité la flétrissure morale que lui infligent aujourd’hui des écrivains qui d’ailleurs se déclarent pleins de sympathie et même de respect pour elle. Ces écrivains croient pouvoir, en toute sûreté de conscience, attribuer à Marguerite d’Angoulême des sentimens incestueux sans nuire à sa considération, parce qu’en même temps (et cette seconde affirmation est aussi dénuée de preuves que la première) ils affirment que Marguerite n’a jamais franchi « la limite qui sépare le malheur et le crime. » L’étude préalable de cette question de moralité n’est pas non plus sans importance pour l’appréciation du recueil de nouvelles dont cette princesse est l’auteur, car si elle avait pu concilier la liberté d’esprit qu’un tel ouvrage suppose avec les sentimens douloureux et criminels que lui prêtent ceux qui la comparent à la sœur de René, cette conciliation serait tout simplement une monstruosité qui rejaillirait sur l’Heptaméron et en changerait notablement le caractère. Cette discussion présente enfin un autre genre d’utilité en nous fournissant un exemple curieux de l’audace malheureusement croissante avec laquelle s’introduisent de nos jours, même dans l’histoire, les inductions les plus hasardées et les hypothèses les plus arbitraires.

Voilà pourquoi nous diviserons ce travail en deux parties, qui, bien que distinctes, se rattachent l’une à l’autre et se fortifient l’une par l’autre. Avant de discuter la valeur littéraire et morale de l’Heptaméron, il faut donc examiner avec quelque détail le procès de tendance qu’on fait aujourd’hui aux sentimens de la reine de Navarre pour son frère.


I. — MARGUERITE D’ANGOULEME ET FRANCOOISIer.

Lorsque M. Littré publia autrefois dans la Revue[1] son excellent travail sur les lettres de la reine de Navarre, le débat dont il s’agit n’était pas encore soulevé. Un écrivain qui ne manquait ni d’esprit ni de savoir, M. Génin, venait de mettre au jour, sous les auspices de la Société de l’Histoire de France, un premier recueil de lettres inédites de cette princesse. Il avait fait précéder ce premier recueil d’une notice très détaillée, discutable sur quelques points, mais généralement exacte, dans laquelle il réfutait avec beaucoup d’ardeur, même un peu de superfétation, les médisances que quelques écrivains

  1. 1er juin 1842.