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qu’ils demeurèrent à Paris ; et y avoit des gens établis à coucher dessous, tous enchaînés de grosses chaînes, quelque froidure qu’il fît, qui étoit lors bien excessive ; et étaient ces chaînes fermées à serrures et à clés que l’un des gouverneurs emportoit le soir, quand il s’en alloit coucher. » C’est ainsi que les seigneurs voyageaient en Bohême pendant les guerres civiles, et il paraît que ces habitudes n’avaient pas encore disparu sous Podiebrad et Ladislas. Le » campement de l’ambassade bohémienne au milieu des rues de Paris n’est-il pas une vive et pittoresque image de la longue anarchie que nous avons décrite ?

Que s’était-il passé à Prague depuis que l’ambassade avait pris la route de la France ? De grands préparatifs se faisaient pour la célébration des noces royales. L’empereur et l’impératrice, avaient promis d’y assister ; les ducs de Saxe, de Bavière, de Silésie, le margrave de Brandebourg et bien d’autres princes de l’empire devaient aussi prendre part à la fête. Ils ne venaient pas seulement honorer de leur présence le mariage du roi de Bohême et de Madeleine de France, ils voulaient arrêter une convention définitive pour la défense de l’Europe contre les Turcs. L’alliance de Ladislas et de Charles VII était le signal d’une période nouvelle : de grandes choses, disait-on, allaient sortir de cette réunion de Prague ; mais bientôt des signes funestes commencèrent à troubler les imaginations : deux comètes, une grande et une petite, avaient paru dans le ciel, et quand Ladislas les vit, disent les vieux annalistes, effrayé de ce mauvais présage, il pria Dieu de lui pardonner ses fautes. Ce n’est pas tout : les lions enfermés dans le jardin du château de Prague se mirent à pousser des rugissemens extraordinaires, des rugissemens effroyables et plaintifs, qui ne cessèrent pas durant plusieurs jours, et frappèrent la ville de terreur. Le 20 novembre, le roi, qui venait de tenir sur les fonts baptismaux l’enfant du burgrave de la ville, se plaignit de vives douleurs de tête en rentrant au château. Le lendemain, une éruption se produisit sur son corps, et, bien qu’il voulût cacher ce symptôme par une fausse honte, il fit appeler ses médecins. L’un d’eux, lui ayant tâté le pouls, s’empressa de le rassurer : « Ce n’est rien, sire roi, il n’y a ici aucun péril ; » mais l’autre, après un examen plus attentif, lui dit : « Sire roi, tu es très malade, » et lui fit prendre une boisson destinée à provoquer la sueur. Voyant ses médecins si peu d’accord, Ladislas ne s’effraya point et voulut assister ce jour-là même à une séance de son conseil. « Hélas ! le gentil seigneur, on ne le vit pas une seule fois sourire comme il avait coutume, » dit le vieil annaliste ; son attitude était silencieuse et morne. Le soir encore, soupant avec ses conseillers, il était sombre et ne dit pas un seul mot. Le mal augmenta pendant la nuit, et le 22 au matin toute la ville apprit subitement que le roi était en danger de mort.