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Cette journée, si fatale à Rosenberg, fut désastreuse pour Meinhardt de Neuhaus. Son autorité dans la ville de Prague était perdue à jamais ; entre le chef indécis qui avait presque livré son parti et le parti résolu qui avait déjoué cette lâche politique, tout lien était détruit, toute confiance impossible. Il était clair à tous les yeux que le sire Meinhardt connaissait mal les sentimens des hussites de Prague, et que les hussites de Prague connaissaient trop bien désormais l’imbécilité de leur chef. À qui appartenait la première ville du royaume ? A celui qui représentait le mieux le sentiment national. Tous les yeux étaient tournés vers George de Podiebrad. Quelques semaines après, le jeune chef était avec son armée devant les murs de Prague. Meinhardt, qui commandait encore la ville, n’avait pour la défendre que ses amis personnels, les barons et chevaliers de sa fédération avec leurs hommes d’armes ; les bourgeois et le peuple faisaient des vœux pour Podiebrad. L’issue de la lutte n’était pas douteuse. La troupe de Meinhardt avait pris position sur les hauteurs fortifiées qui dominent la ville du côté de Wischehrad. George donne le signal de l’assaut : ses hommes s’élancent, entrent par la brèche, culbutent l’ennemi, tandis que lui-même enfonçant les portes de la ville basse, se précipite sur les fuyards et les empêche de se rallier. Sa victoire fut complète : la plupart des assiégés, chefs où soldats, tombèrent entre ses mains. Le peuple, eh courant à sa rencontre, avait coupé la retraite aux vaincus ; ses plus redoutables ennemis furent arrêtés au moment même où un cortège immense, avec des cris de joie et de victoire, le conduisait de la ville basse jusqu’à l’hôtel de ville (3 septembre 1448).


IV

Ce fut là un jour décisif dans cette tumultueuse période : les deux partis hussites, les modérés et les ardens, étaient désormais réunis ; George était leur chef, et Prague leur capitale. Cette substitution d’un gouvernement à un autre dans la ville des calixtins modérés peut-elle s’appeler un coup d’état ? Non certes, il n’y avait pas d’état constitué dans cette malheureuse Bohême : c’était simplement un acte de guerre dans un pays où le droit ne se maintenait que par la guerre. Les ennemis de George, si affaiblis qu’ils fussent, ne manquaient ni de prétextes ni de ressources pour reprendre l’offensive. Le vieux sire Meinhardt de Neuhaus, fait prisonnier au siège de Prague, avait été enfermé au château de Podiebrad, et, bien que traité par le jeune vainqueur avec une courtoisie chevaleresque, il avait bientôt succombé à ses chagrins. Son fils, Ulrich de Neuhaus, accusa George d’avoir fait empoisonner le vieillard. Aux clameurs poussées par Ulrich, la guerre civile recommence.