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Prague. Nous avons déjà dit que la capitale de la Bohême appartenait alors aux calixtins modérés, et se trouvait.par conséquent sous la direction du sire de Neuhaus. Neuhaus et Rosenberg firent la plus magnifique réception au cardinal : toute la ville se porta au-devant de lui, et les honneurs qu’on lui rendit furent si grands, les acclamations si vives, si joyeuses, que le cardinal, esprit très fin pourtant et des plus avisés, se crut assuré de la victoire : n’avait-on pas exagéré la sombre obstination des hussites ? et serait-il bien difficile de ramener un tel peuple à l’obédience de Rome ? On imaginerait difficilement un plus singulier malentendu que celui qui se produisit en. cette circonstance : Rosenberg se croyait maître des hussites de Prague, parce qu’il dominait leur faible chef, le sire Meinhardt de Neuhaus ; le cardinal, voyant l’enthousiasme de la ville, croyait avoir affaire à un peuple fatigué de la lutte et qui courait les yeux fermés au-devant de la paix ; les hussites, impatiens d’atteindre leur but, croyaient saluer de leurs acclamations le légat qui venait établir officiellement leur église nationale et sacrer leur archevêque. Au bout de quelques jours, tous les voiles tombèrent, et l’irritation fut d’autant plus violente chez les habitans de Prague que la joie s’était plus naïvement épanouie. Quand on vit le cardinal opposer des fins de non-recevoir à toutes les requêtes, faire profession d’ignorance absolue au sujet des compactats du concile, s’exprimer avec dédain sur des croyances qui étaient la vie même, la vie religieuse et morale de la nation, plus d’un murmure accueillit ses paroles. « Prenez garde, lui dit un jour un des négociateurs, il pourrait bien se passer ici des choses terribles. » Les têtes s’échauffaient ; le souvenir de Jean Huss se réveillait d’une façon tragique ; on parlait déjà de châtimens, de représailles ; enfin la colère du peuple devint si menaçante que le cardinal crut devoir quitter la ville en toute hâte, escorté d’une troupe de cavaliers que commandait Ulrich de Rosenberg. Le 1er mai, il avait été reçu avec vénération et allégresse comme l’envoyé du premier pouvoir de l’église universelle ; le 23, il était obligé de s’enfuir au milieu des vociférations et des outrages. Le bruit se répandit bientôt qu’il s’était fait livrer les compactacts pour en prendre connaissance, et qu’il les emportait dans sa valise. C’était le trésor de la patrie. Aussitôt quatre cents cavaliers s’élancent à sa poursuite : on l’atteint, on l’arrête, on va fouiller sa voiture ; il supplie qu’on veuille bien ne pas lui infliger cette honte en vue de la ville de Prague : au premier village, il ouvrira ses malles et restituera le dépôt qu’on lui réclame. Il s’exécuta en effet à Beneschau ; le précieux titre, dit le chroniqueur, était tout au fond de sa valise. C’est ainsi qu’un prince de l’église romaine, grâce aux intrigues de Rosenberg, fut accueilli comme un libérateur et se sauva comme un larron.