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d’égale que la précision. Cette réunion de figures étrangères, ce chaos du travail, cette confusion des idiomes, tout cela rappelait la tour de Babel, il y avait pourtant une grande différence : c’est du haut des ouvrages inachevés de Babel que, selon la Bible, les races humaines se sont dispersées sur toute la terre ; c’est au contraire dans le palais de l’exposition universelle qu’elles devaient se rencontrer et se réunir en 1862.

En même temps que cette activité se déployait dans l’intérieur du bâtiment, la ville de Londres ne restait point oisive. L’exposition universelle avait été depuis plus d’un an le point de mire pour l’esprit de spéculation, si répandu en Angleterre. Nos voisins, qui aiment à baser leurs calculs sur la statistique, avaient consulté les rapports du Board of trade (conseil du commerce) relatifs au nombre des voyageurs. Que disent ces rapports ? Le nombre des voyages par chemin de fer à travers tout le royaume-uni augmente de semaine en semaine, de mois en mois ; il a plus que doublé depuis 1851[1]. Cette année-là, le nombre total des visiteurs qui affluèrent dans la ville de Londres fut de 6,039,195 ; mais il n’y avait alors que 6,700 milles de chemins de fer ouverts dans la Grande-Bretagne ; il y en a aujourd’hui 11,000. Il est facile de prévoir les conclusions que tirent les Anglais d’un pareil état de choses : ils s’attendent depuis un an à voir Londres inondé par un déluge de provinciaux et d’étrangers. Ces espérances, qui, je l’espère, ne seront point démenties, ont donné lieu à toute sorte d’entreprises. Dès que l’intention d’ouvrir en 1862 une exhibition universelle fut connue, un hôtel immense, véritable palais consacré aux étrangers, s’éleva tout près du débarcadère de London-Bridge, et cet exemple fut suivi dans d’autres quartiers de la ville. Les terrains vides qui avoisinaient le siège de l’exposition se couvrirent de maisons poussées en une nuit à l’ombre du palais de l’industrie, ainsi que des champignons au pied d’un chêne. À peine terminées, et encore toutes fraîches, ces habitations, dont les fenêtres n’étaient point même posées, se voyaient déjà l’objet de demandes et de spéculations audacieuses. Un autre point sur lequel se porta la sollicitude des Anglais fut la circulation des omnibus. On en fit venir de Manchester ; on inaugura même un nouveau système de grandes voitures communes, connu sous le nom de Lancashire principle. Ce n’était pas tout que d’augmenter les moyens de transport ; il fallait des rues ou plutôt

  1. Cet accroissement atteint par année la moyenne énorme de 10 millions. Un autre fait donnera une idée des progrès accomplis dans ce système de locomotion. En 1851, les chemins de fer de Londres ne pouvaient amener et remmener en un jour que 42,000 personnes ; maintenant 140,000 voyageurs peuvent venir le matin dans la métropole et s’en retourner le soir.