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singulière, reconnurent comme puissances établies, les uns le pape Eugène IV et le concile de Bâle, qui l’avait déposé, les autres le pape Félix V et le concile de Florence, qui lui jetait l’anathème. Que fit la Bohême au milieu de ce conflit ? Assez tourmentée de ses propres embarras, elle essaya de rester neutre. Dans les premiers jours du mois de janvier 1441, selon le vieux chroniqueur cité par M. Palacky, on vit arriver à Prague les légats de Félix V : ils réunirent solennellement les principaux dignitaires de la ville, le recteur de l’université avec son cortège de maîtres et d’étudians, les barons, les chevaliers, les bourgeois, et, après avoir lu les actes du concile de Bâle, déclarèrent Félix V seul pape légitime, ordonnant, sous peine d’anathème, à tous les catholiques de reconnaître son autorité et de refuser obéissance à Eugène IV. C’était devant une assemblée de hussites qu’avaient lieu ces proclamations impérieuses. Ces hussites répondirent qu’ils n’étaient point séparés de l’église romaine, évitant ainsi de se prononcer sur la question de savoir quel était le chef de cette église ; puis, allant droit au fait qui seul les intéressait, ils demandèrent des nouvelles des compactats d’Iglau. Le pape ou le concile avait-il donné des ordres pour que ces solennelles promesses fussent enfin exécutées ? Les légats de Félix V, qui n’avaient pas reçu d’instructions à ce sujet, se trouvèrent fort embarrassés et comprirent que leur mission était finie. Ils n’avaient pas encore quitté la ville de Prague lorsque les légats. d’Eugène IV y firent leur entrée de la même façon, furent accueillis avec les mêmes honneur, lurent publiquement les mêmes lettres, les mêmes bulles, où il n’y avait qu’un nom de changé, déclarèrent enfin qu’Eugène IV était le vrai pape, le seul pape, et que tous les catholiques, sous peine d’excommunication, lui devaient obéissance.

L’attitude des hussites, en face de ces scandales, révèle un rare instinct de l’intérêt national ; le peuple qui écartait ainsi ce nouvel élément de confusion était digne de triompher un jour de ses propres difficultés et de mettre fin à l’anarchie qui le dévorait. Cette sagesse, on doit le dire, n’était pourtant pas unanime. Il y avait des voix dissidentes, il y avait des hommes pour qui les déchiremens de l’église étaient une occasion de brouiller les affaires et de prolonger un interrègne propice à leurs intrigues. Au premier rang, — et M. Palacky n’en parle que la rougeur au front, — il faut placer le chef politique du parti romain, le baron Ulrich de Rosenberg, qui, reconnaissant tour à tour Eugène IV et Félix V, négociant, selon son intérêt, avec le concile de Bâle ou le concile de Florence, recevant l’argent de toutes mains, ne songeait qu’à augmenter son influence personnelle, et s’inquiétait peu de déshonorer son parti. N’était-ce pas en effet déshonorer tous les ardens catholiques de ce parti que de servir leurs passions au détriment de leur foi ? On voit que, malgré