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rien de plus à faire que de nous envoyer l’ordre péremptoire de partir ; veuillez le faire le plus tôt possible, non que nous craignions d’en avoir besoin, mais afin que votre fils (qui a témoigné pour la personne de l’infante beaucoup d’affection) puisse, à la faveur de votre ordre, se montrer pressé de partir sans passer pour un froid amant. »

Si Buckingham eût été moins léger et moins présomptueux, il n’aurait pas témoigné tant de confiance. Le lendemain même du jour où, de concert avec son prince, il se montrait si sûr de son prochain succès, il rendit au roi Jacques un compte détaillé des démarches qu’il venait de faire pour l’obtenir, et son récit seul prouve que ce succès était bien plus incertain qu’il ne se plaisait à le croire et à le dire : « Au milieu de la joie de cette cour, quand elle a su que ces propositions étaient acceptées, nous avons pensé, écrivait-il, que le moment était opportun pour mettre à l’épreuve leur bon vouloir et pour presser le départ immédiat de l’infante. Le prince m’a envoyé au comte d’Olivarez, pour lui en exposer les raisons. Je lui ai dit d’abord que cela prolongerait vos jours, à vous qui aviez si bien mérité de l’Espagne dans cette affaire et dans tant d’autres. Cela tournerait d’ailleurs à l’honneur du prince, qui autrement ne laisserait pas d’avoir à souffrir. L’infante gagnerait ainsi plus tôt les cœurs de votre peuple, ce qui permettrait de faire plus tôt aussi et plus aisément ce qu’elle désire et ce qu’ils désirent eux-mêmes en faveur des catholiques. En agissant autrement, nous n’atteindrions que l’un des deux buts pour lesquels nous sommes venus en Espagne ; nous contracterions mariage, mais non pas amitié, ce qui ressemblerait beaucoup à l’alliance française. Les affaires de la chrétienté seraient d’ailleurs, si nous emmenions l’infante, plus promptement et plus aisément réglées. Si le comte avait en vue quelque avantage d’état qu’il se flattât d’obtenir au printemps prochain, je me faisais fort de lui prouver qu’il l’obtiendrait bien mieux à présent que lorsqu’en nous témoignant sa défiance il aurait éveillé la nôtre. J’ajoutai que votre majesté avait eu cette année de lourdes charges, et que ce délai les aggraverait pour les deux royaumes. Enfin je le priai de penser à mon pauvre petit intérêt à moi, qui avais emmené d’Angleterre notre prince parfaitement libre, et qui l’y ramènerais lié par un contrat et hors d’état d’avoir des héritiers jusqu’à ce qu’il plût à l’Espagne de lui donner sa femme. Si je n’étais pas le fidèle ami et serviteur du comte, je ne pourrais, lui dis-je, penser sans horreur et sans effroi à une telle responsabilité. Le comte m’interrompit souvent en murmurant et grommelant, et à la fin il me dit que je l’avais ensorcelé. Je suis sûr que, s’il y avait entre nous un sorcier, il y avait aussi un diable. De lui, j’allai à sa femme, qui, pour vous le dire en passant, est la meilleure femme du monde, ce qui me fait croire que tous les favoris ont de bonnes femmes. Je dis à la comtesse