Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/565

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous bénisse, et qu’après un bon succès là-bas il vous ramène promptement et heureusement ici, dans les bras de votre cher père. »

Plus la négociation se prolongeait, plus la fausse situation mutuelle des trois souverains qui y étaient engagés devenait évidente : ils se demandaient réciproquement un acte de respect pour la liberté religieuse qu’au fond et en principe aucun d’eux ne reconnaissait et n’entendait accorder. Le roi d’Angleterre voulait que son fils épousât une princesse catholique tout en restant exclusivement protestans, lui, son fils et son peuple. Le roi d’Espagne voulait que sa fille et tous les serviteurs personnels de sa fille restassent hautement catholiques tout en vivant dans une famille et chez un peuple protestans, et tout en excluant absolument lui-même les protestans de ses états. Le pape réclamait, pour les catholiques d’Angleterre, la pleine liberté de conscience, tout en l’interdisant péremptoirement partout où il dominait, et en sommant le roi d’Angleterre de rentrer, lui et son peuple, sous le joug de l’église unique et souveraine. « Telle est, dit Adam Smith, l’insolence naturelle du cœur de l’homme qu’il ne se résigne à accepter les bons moyens qu’après avoir épuisé les mauvais. » À cette profonde remarque, j’ajoute que les hommes chérissent et maintiennent avec bien plus d’obstination le pouvoir qu’ils possèdent illégitimement que celui qui leur appartient à bon droit ; l’instinct de la vérité les poursuit au sein de l’erreur ; ils pressentent que, s’ils laissent échapper ce qu’ils n’ont pas droit de garder, ils ne le retrouveront jamais. D’ailleurs ce que les hommes possèdent au-delà de leur droit satisfait seul l’orgueil humain, toujours mécontent quand il n’obtient que ce qui lui est dû. Ces passions ou plutôt ces infirmités morales jetaient à chaque pas, dans la négociation que je retrace, toute sorte d’entraves, et dans ce travail diplomatique la situation du roi Jacques était la plus mauvaise, car c’était lui qui désirait le plus vivement le succès et qui avait le plus d’incohérences à accepter et de sacrifices à faire pour l’obtenir.

Le peuple espagnol, de son côté, ne conservait déjà plus, six semaines après l’arrivée du prince Charles, l’enthousiasme qu’elle lui avait d’abord inspiré : on avait vu dans cette éclatante démarche et dans le mariage qu’elle annonçait un triomphe de la foi comme de la politique espagnole ; » le prince de Galles, disait-on partout, va se faire catholique. » Charles dissipa promptement cette confiance ; en même temps qu’il témoignait pour l’église romaine un grand respect, il ne laissait, sur sa fidélité à l’église anglicane, ouverture à aucun doute. « Je suis venu, disait-il, chercher en Espagne une femme, non une religion. » Il tenait ce langage avec cette dignité un peu sèche et hautaine qui lui était naturelle, et à mesure qu’il se montrait plus fermement Anglais, la faveur espagnole se retirait de lui.