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semblable à la conduite de l’empereur Honorius et de saint Augustin à l’égard des donatistes. « Cette apologie, dit M. l’abbé Flottes, eut un grand retentissement en Europe. Il est certain que les principes de saint Augustin justifiaient pleinement cette révocation de l’édit de Nantes, dont le prudent évêque d’Avranches, Daniel Huet, n’a pas craint de dire qu’elle avait été un obstacle à la réunion des communions chrétiennes et une occasion de troubles civils. »

Ce n’est pas ici une question de parti ; la condamnation de l’erreur de saint Augustin ne doit pas être prononcée au nom de telle ou telle église, mais au nom du christianisme universel et de l’éternelle raison. On a reproché aux écrivains catholiques de n’avoir pas été assez prompts à désavouer les docteurs de l’intolérance. S’il a fallu, pour les convaincre, les grandes épreuves de la révolution ainsi que les vicissitudes de nos jours, n’oublions pas qu’ils ont réussi pourtant à se dégager de la tradition qui pesait sur eux. Leurs représentans les plus autorisés ont formulé sur ce point des déclarations définitives Je ne parle pas seulement de M. Albert, de Broglie, de M. l’abbé Maret, du père Gratry, du sage auteur des Études sur Saint Augustin, de bien d’autres encore: un homme qui, par l’âpreté de ses convictions et l’amertume de son langage, avait trop souvent pris plaisir à blesser le christianisme naturel du genre humain, M. de Montalembert, a fini par repousser la tradition augustinienne de l’intolérance pour s’attacher aux premières doctrines de l’évêque d’Hippone, c’est-à-dire à la tradition de l’Évangile et des temps apostoliques[1].

Laissons donc de côté des discussions surannées et des récriminations stériles; si nous avons insisté sur cet épisode de la philosophie de saint Augustin, c’est pour laver à jamais l’outrage fait à une mémoire vénérée, pour mettre un terme à son supplice, pour proclamer l’extinction d’une époque où ses paroles, interprétées à faux, servaient à justifier des violences que son cœur aurait cent fois maudites. Et quelle leçon dans ce dramatique incident ! Puisqu’une opinion imprudemment admise par l’esprit le plus détaché de nos misères, par l’âme la plus pure et la plus tendre, a pu autoriser de telles choses, ah! qui que vous soyez, vous qui avez autorité sur les hommes, vous qui, par le caractère ou le talent, pouvez être un jour appelés en témoignage, vous enfin qui avez charge d’âmes, pour quelque raison et à quelque degré que ce puisse être, philosophes ou pontifes, artistes ou magistrats, veillez sur vous, veillez sur vos paroles et sur les exemples que vous laissez au monde; n’oubliez pas ce fatal enchaînement d’idées qui a fait reparaître si douloureusement le nom béni de saint Augustin au lendemain de la Saint-Barthélémy et de la révocation de l’édit de Nantes!


SAINT-RENE TAILLANDIER.


V DE MARS.

  1. Voyez les Moines d’Occident depuis saint Benoit jusqu’à saint Bernard, tome Ier, pages 203-204; Paris 1860.