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en 1843 par M. Victor Cousin, celui dont M. Sainte-Beuve lui-même n’a été en cette occasion que le brillant disciple, M. Alexandre Vinet, a rendu un bel hommage au livre de M. l’abbé Flottes. Pour moi, ce qui me frappe surtout dans ces études, où j’aurais des réserves à faire, c’est l’empressement de l’auteur à prouver que le scepticisme théologique est contraire aux traditions de l’église gallicane, que cette doctrine funeste ne peut invoquer aucun nom parmi les maîtres de la science religieuse, qu’elle est née seulement de nos jours sous l’influence d’une théologie pusillanime et d’une foi sans courage. Cette inspiration, que j’accentue peut-être plus vivement que ne l’a fait l’auteur, est l’âme de tous ses travaux, et elle anime encore ces savantes études sur Daniel Huet, où toutes les subtilités de ce bel-esprit paradoxal sont si ingénieusement démêlées.

Tel est l’homme qui essaie aujourd’hui d’exposer scientifiquement la philosophie de saint Augustin. On voit assez la confiance qu’il mérite et quelle forte préparation l’a soutenu dans cette laborieuse entreprise. Tandis que les théories ultramontaines, associées à je ne sais quel romantisme religieux, troublaient les traditions de l’église de France, M. Flottes cherchait un refuge dans le passé. Je ne dis pas qu’il fût le seul, à Dieu ne plaise ! la province conserve encore un grand nombre de ces esprits fidèles protégés par leur retraite contre les tumultueux courans de l’opinion; je crois seulement pouvoir affirmer qu’aucun d’eux n’a plus vécu par l’étude dans les grandes époques de l’église, qu’aucun n’a mieux aimé ce refuge et n’y a cherché plus avidement les consolations dont il avait besoin. La période des pères de l’église du XVIIe siècle, voilà la patrie intellectuelle de M. Flottes. Que d’autres y poursuivent les souvenirs du génie et les chefs-d’œuvre de l’art, lui, ce qu’il cherche avant tout, ce sont des principes éternels. Son exposé de la philosophie de saint Augustin est l’œuvre de toute une vie de méditations et de recherches.

Les prolégomènes de la philosophie, les notions premières sans lesquelles toute science est impossible, les idées, les nombres, le temps, l’éternité, l’espace, puis l’homme avec son âme et son corps, puis Dieu tel que l’âme nous le révèle, puis enfin l’œuvre de Dieu, l’univers et toutes les questions que ce mot embrasse, depuis l’âme du monde jusqu’à l’âme des bêtes, voilà le cadre magnifique où viendront se ranger naturellement les pensées du grand contemplateur; mais avant de retrouver la philosophie de saint Augustin, il faut le connaître lui-même. Si l’histoire d’un écrivain est presque toujours le commentaire le plus lumineux de sa pensée, c’est surtout à propos de saint Augustin qu’il convient de rappeler ce principe. Il ne s’agit pas ici d’une science morte, d’une métaphysique abstraite; quelle doctrine sortit jamais plus brûlante des épreuves de la vie? La biographie de l’évêque d’Hippone par M. l’abbé Flottes a surtout le mérite de la précision philosophique; on dirait une psychologie en action, et cette psychologie est la source de toutes les vérités que va dérouler devant nous l’interprète du sublime docteur.