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seurs, nommé Justinianus, avocat habile et homme de bon conseil, empêche-le, ou tu es perdu. » Et comme le régent repoussait cette supposition par orgueil ou par faiblesse : « Eh bien donc ! s’écria l’autre, adieu, car je ne veux pas me perdre avec toi ! »

La tournée se fit malgré Stilicon, et Olympius, maître de l’oreille du prince, y versa tout à loisir le poison de son âme. Le front d’attaque avait changé : ce n’était plus le trône d’Occident que le régent convoitait pour son fils, c’était celui d’Orient ; s’il voulait aller à Constantinople, c’était pour égorger Théodose par les mains des soldats de son oncle. Encore s’il se contentait de l’Orient ! Mais voilà qu’il prenait déjà position en Gaule dans la personne d’Alaric, son allié secret et son lieutenant. Ces discours, répétés à chaque moment, ébranlaient l’esprit pusillanime de l’empereur. Cependant l’armée, pour qui ces dissentimens n’étaient plus un mystère, y prenait une part plus vive de jour en jour ; en général les auxiliaires soutenaient Stilicon, dont la cause se confondait avec la leur ; les légions, par la raison contraire, penchaient pour Olympius. À Ravenne, l’attitude des auxiliaires goths fut telle que l’empereur refusa de s’y arrêter ; sur la route de Bologne, son escorte se mutina, et il fut obligé de mander Stilicon pour la réduire. À Pavie, il resta trois jours sans oser se montrer aux troupes romaines, et Olympius (l’histoire nous a conservé ce détail) mit le temps à profit pour parcourir les chambrées, et monter le coup qui devait éclater. Le quatrième jour, l’empereur passa la revue devant le palais, et harangua les légions : il leur recommandait de se tenir prêtes à partir pour la Gaule, de compagnie avec les Visigoths d’Alaric. Ce fut alors que le tumulte commença : les soldats se jetèrent d’abord sur les fonctionnaires de la préfecture des Gaules qui avaient déserté leur poste et s’étaient réfugiés près de l’empereur ; ils passèrent de là aux fonctionnaires italiens, aux grands personnages de la cour qu’on tenait pour amis du régent : tous furent massacrés. Honorius effrayé se sauva du palais sous le vêtement d’un esclave. Bientôt la fureur des assassins dégénérant en frénésie, ils firent main basse sur les magistrats de la ville, sur les habitans, sur les maisons : tout fut pillé, et les rues regorgèrent de sang et de cadavres. Olympius profita de la terreur du prince, à demi mort dans sa cachette, pour lui présenter l’ordre de tuer Stilicon, comme le seul remède à la révolte : Honorius signa sans hésiter.

Cependant le ministre, mandé à Bologne, avait vu accourir autour de lui les chefs des divisions auxiliaires : ils y tinrent conseil sur les événemens encore incertains de Pavie, et décidèrent qu’ils feraient marcher leurs troupes contre les légions pour les attaquer, s’il était vrai qu’elles eussent attenté à la vie du prince, autrement pour exiger d’elles le châtiment des coupables et de leurs instiga-