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ESSAIS ET NOTICES.
SAINT AUGUSTIN ET LA LIBERTE DE CONSCIENCE.


I. Études sur saint Augustin, par M. l’abbé Flottes ; 1 vol. in-8o. Paris 1862. — II. Essai sur l’avenir de la tolérance, par M. Ad. Schaeffer ; 1 vol. in-18.


Les génies les plus heureux dans le groupe sacré des maîtres, ce sont ceux qui, ayant saisi avant tous les autres quelques-unes des vérités premières, ont travaillé à la fois pour leur temps et pour une longue suite de siècles. Platon et Aristote dans le monde hellénique, saint Augustin dans la société chrétienne, ont eu cette fortune et cette gloire. Les générations passent devant ces esprits de haut vol, et quels que soient les changemens de la pensée publique, les derniers venus trouvent encore chez eux de nouvelles richesses à recueillir après tant de devanciers qui semblaient avoir pris le meilleur lot. C’est que, par le bénéfice de leur place dans les annales humaines comme par le privilège du génie, les penseurs souverains dont nous parlons ont été les premiers à fonder les principes d’une science qui demeure l’éternel souci des âmes d’élite. La lumière qu’ils ont fait éclater peut subir des éclipses, il est impossible qu’elle disparaisse. Dante, qui place leurs disciples au quatrième ciel, les appelle la couronne de l’humanité ; n’est-ce pas le plus magnifique éloge de cette clarté divine qu’ils ont répandue sur la terre ? Le tableau des impressions que les différens âges ont reçues de leur enseignement est à lui seul un grave sujet de méditations et d’études ; il forme une part, et une part considérable, de l’histoire de l’esprit humain. Chercher ce que sont devenues de siècle en siècle la dialectique de Platon, la métaphysique d’Aristote, montrer l’influence qu’elles ont exercée, les mouvemens d’idées qu’elles ont produits, les révolutions cachées ou bruyantes qui ont accompagné leur développement parmi les hommes, c’est une tâche assez grande pour remplir toute une vie.

La même chose est vraie de saint Augustin. Du Ve au XIXe siècle, combien de générations ont emporté avec elles la pensée de ce maître puissant, et l’ont mêlée, pour ainsi dire, aux événemens de l’histoire ! Théologien, philosophe, moraliste, témoin et acteur dans les luttes de son temps, placé entre le vieux monde qui s’écroule et la société qui se forme, agissant sur l’une et sur l’autre et les peignant toutes deux à la fois, l’évêque d’Hippone, de quelque côté qu’on examine ses œuvres, tient une place immense dans les siècles qui ont suivi le renouvellement du monde. Ni le travail ardent et confus du moyen âge, ni le développement lumineux de la pensée moderne, n’ont échappé à son action. Il est présent au milieu de toutes les batailles de l’esprit. Qu’on traduise exactement ses formules, ou qu’on les défigure, on n’y peut rester indifférent. Il a si bien marqué son empreinte