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une admirable voix et un beau physique, se maintint pendant plusieurs années. En 1743, Gizzielo fut engagé au théâtre de la cour à Lisbonne, le roi de Portugal était un très grand amateur de musique italienne. La réputation de Gizzielo s’était tellement accrue en Europe que le roi de Naples Charles VII, devenu plus tard Charles III d’Espagne, fit engager Gizzielo et Caffarelli pour les entendre ensemble dans une grande représentation. C’était en 1744, à l’occasion de la victoire de Velletri, que le roi avait remportée sur les impériaux, commandés par le prince de Lobkowitz[1]. Gizzielo venait du Portugal et Caffarelli de la cour de Pologne, assure-t-on, ce qui ne semble douteux. Quoi qu’il en soit, Gizzielo n’avait jamais entendu Caffarelli lorsqu’il dut chanter avec lui dans un opéra de Pergolèse, Achillein Sciro. Gizzielo était chargé du rôle d’Ulysse, et Caffarelli représentait Achille. Ce fut Caffarelli qui commença d’abord par un air de bravoure don les difficultés, héroïquement surmontées par le gosier merveilleux du virtuose, terrifièrent le pauvre Gizzielo, qui tremblait de tous ses membres. Néanmoins, dit-il, je me recommandai à la bonté du ciel, et je prie courage. Il chanta à son tour un air d’un style moins fleuri, mais avec tant de sentiment, de grâce et de douceur que la victoire resta indécise. Les deux lutteurs eurent chacun leurs partisans, et le public se retira enchanté de l’incomparable bravoure de Caffarelli aussi bien que du sentiment pathétique qui était le caractère du talent de Gizzielo.

En 1749, Gizzielo fut mandé en Espagne par son compatriote Farinelli. Il chanta au théâtre de la cour avec la célèbre Mingotti, une élève de Porpora dont le talent avait beaucoup d’analogie avec celui de Gizzielo. Trois ans après, ce virtuose nomade retourna en Portugal et débuta dans Demofoonte, opéra d’un compositeur espagnol, David Perez. Le succès de Gizzielo fut si grand auprès du roi de Portugal, qu’il le combla des marques de sa munificence. À l’occasion de la naissance d’un fils du roi, Gizzielo ayant chanté devant lui une cantate où se trouvait un air charmant d’un caractère tendre et pastoral, le roi en fut si touché qu’il donna au virtuose, en témoignage de sa satisfaction, une poule avec vingt poussins d’or : singulier cadeau fait par un roi mélomane à un sopraniste ! On écrit, mais rien ne l’atteste, que Gizzielo quitta le théâtre vers la fin de l’année 1753. Il se retira à Rome avec une grande fortune, et y vécut pendant quelques années dans une belle position. Grétry parle de Gizzielo dans ses mémoires. « Un fameux chanteur que j’ai vu à Rome, dit l’auteur de Richard Cœur de Lion, Gizzielo, envoyait son accordeur dans les maisons où il voulait montrer ses talens, non-seulement de crainte que le clavecin ne fût trop haut,

  1. Dans l’article Conti (Gizzielo) de la seconde édition de la Biographie universelle des Musiciens, M. Fétis se trompe en disant que c’était pour l’inauguration du théâtre Saint-Charles qu’eut lieu cette représentation célèbre. Construit sous le roi Charles VII par l’architecte Madrano et achevé par Carasale, le premier théâtre Saint-Charles fut ouvert le 4 novembre 1737. Voyez Coletta, Histoire du royaume de Naples, t. Ier, p. 157 de la traduction française.