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nous vivons. Le premier a été l’interprète ému de la musique simple de Vinci et des opéras de Handel ; le second a eu l’insigne honneur de poser devant Gluck pour son chef-d’œuvre, Orfeo.

Gizzielo, qui fut le compatriote et le contemporain de Farinelli et de Caffarelli, dont nous avons raconté la vie[1], est né à Arpino, petite ville du royaume de Naples, le 28 février 1714. Il s’appelait Joachino Conti, et, comme l’avaient fait ses deux illustres confrères, il prit aussi, par reconnaissance le nom du maître qui lui enseigna les élémens de son art. Ce maître, qui se nommait Domenico Gizzi, était un élève très aimé d’Alexandre Scarlitti, qui avait ouvert à Naples une école de chant d’où sont sortis plusieurs virtuoses remarquables. Issu d’une pauvre famille, Conti subit de très bonne heure la cruelle opération qui a fait de ce sopraniste un des plus admirable chanteurs de son temps. Quelques biographes affirment qu’il ne fut soums à cet outrage qu’à cause d’une maladie qui rendait l’opération nécessaire. Quoi qu’il en soit de ces légendes dont la vie des sopranistes est remplie, il est certain que Gizzielo fut conduit à Naples par ses parens et confié aux soins du maître célèbre dont il a pris le nom. On croit que c’est à Rome, à l’âge de quinze ans, c’est-à-dire en 1729, que Gizzielo aborda le théâtre pour la première fois. Son succès fut instantané et général. Gizzielo retourna deux ans après, en 1731, à Rome, où il produisit un plus grand effet encore dans deux opéras de Vinci, Didone abbandonata et Artaserse. C’est à propos du succès prodigieux que Gizzielo obtenait à Rome dans ces eux ouvrages qu’on rapporte l’anecdote suivante. Caffarelli, qui se trouvait alors à Naples, ayant entendu parler de l’enthousiasme qu’excitait à Rome le nouveau sopraniste, prit la poste et partit pour la capitale du monde catholique. Il entra au parterre du théâtre d’Apollo, dit aussi Théâtre des Dames, enveloppé dans un grand manteau pour n’être pas reconnu. Après le premier air, chanté avec une merveilleuse bravoure, Caffarelli, qui n’était rien moins que modeste, saisissant un moment de silence, s’écria: — bravo, bravissimo, Gizzielo, è Caffarelli chi tel’ dice ; — très bien, bravo, Gizzielo, c’est Caffarelli qui te parle.

En 1732 et 733, Gizzielo chantait à Naples avec un succès toujours croissant, et deux ans après il fut engagé à Londres au théâtre que dirigeait Handel, alors en grande opposition avec une partie de l’aristocratie qui soutenait un autre théâtre d’opéra italien, sous la direction de Porpora. Celui-ci avait pour interprètes de sa musique son élève Farinelli, le contraltiste Senesio, qui s’était brouillé avec le grand maître saxon, et la célèbre cantatrice Francesca Cuzzoni. Gizzielo débuta à Londres le 5 mai 1736 dans un opéra d’Handel, Ariodant, et l’immense succès qu’obtint le virtuose rétablit un peu ses affaires de l’illustre imprésario. Le 12 du même mois, Gizzielo chanta dans un opéra de circonstance, Atalante, que Handel avait composé pour le mariage de la princesse de Galles, et son succès, fondé sur

  1. Voyez la Revue du 1er octobre 1861 et du 15 avril 1862.