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lement une population qui se résigne avec un mâle courage, des meetings librement convoqués, auxquels tout le monde vient prendre part pour discuter, avec la plus louable confiance les uns dans les autres, les moyens à prendre pour combattre cette calamité nationale. Les riches, les propriétaires, les directeurs des travaux qui sont arrêtés, apportent non pas leur aumône, ce n’est pas le mot, mais le concours de leurs fortunes, de leurs lumières et de leurs sympathies pour les victimes; les ouvriers exposent leur situation, discutent ou formulent à leur tour des projets de soulagement, avec un talent réel souvent, avec convenance et modération toujours. Est-il beaucoup de pays où de pareilles épreuves pourraient être supportées sans scandale et sans danger pour la paix publique en laissant aux citoyens une aussi grande liberté d’action? Et en même temps que les choses se passent ainsi à Manchester ou dans le Lancashire, ce qu’on a appelé le mouvement des volontaires poursuit son développement régulier. Les motifs qui ont déterminé cette prise d’armes nationale ne nous paraissent pas fondés, ce sont à nos yeux des alarmes imaginaires; il n’en est pas moins vrai qu’on doit être touché de la sincérité et de l’ardeur de ce patriotisme qui s’arme même à propos de chimères. Les volontaires n’auront peut-être jamais d’ennemis à combattre, mais ils auront donné au monde un grand enseignement. Lorsqu’on voit les ombrages qu’ont excités ailleurs des organisations aussi inoffensives que la franc-maçonnerie ou la société de Saint-Vincent-de-Paul, on doit être très frappé de la confiance en soi et dans les siens d’un pays où il peut être permis à une armée de 170,000 hommes de se lever et de s’organiser spontanément, de provoquer des réunions tantôt sur un point du territoire, et tantôt sur l’autre, de 25 ou 30,000 hommes armés et pourvus de cartouches sans que le gouvernement ou les pouvoirs publics en conçoivent aucun souci. Bien loin de là, ils applaudissent au mouvement, ils le favorisent de toutes les manières, et leur sécurité est si grande que non-seulement ils fournissent les armes et les munitions, mais que de plus ils ont décliné toutes les occasions qui leur ont été offertes de s’ingérer dans l’administration des volontaires et d’en prendre la direction. Est-il beaucoup de pays où il serait possible de laisser vivre une pareille institution sans qu’elle devînt bientôt une cause certaine de désordre, d’anarchie et de guerre civile?

L’Angleterre possède la supériorité financière et industrielle; en fait de marine, elle possède la supériorité du nombre, et ces élémens de puissance, vivifiés par la liberté qui permet à chaque citoyen de fournir le maximum de sa valeur, vivifiés par l’union qui fait la force, produiraient en un jour de crise des résultats qu’il serait impossible aujourd’hui d’estimer avec quelque certitude. Il ne