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humaines prennent un corps ; mais ce qu’ils représentent surtout eux-mêmes, ce sont des causes de désunion pour la société au milieu de laquelle ils existent, et, quand ils ont une vitalité réelle, des aspirations de la nature humaine qui, ne trouvant pas leur satisfaction légitime dans le milieu où ils vivent, protestent contre la façon dont il est ordonné. C’est au moins ce que doivent confesser tous ceux qui prétendent appartenir à l’opinion libérale. En Angleterre, rien de pareil : whigs, tories, radicaux et autres sont, malgré leurs noms, d’accord sur tous les principes ; ils ne diffèrent que sur l’application, et encore arrive-t-il quelquefois qu’ils sont d’accord sur le fond de certaines questions avant que la nation elle-même consente à s’en occuper. Ainsi en est-il en ce moment de la réforme électorale, qui n’est pas un principe, mais qui pourrait être une question importante. Cependant ni lord John Russell, lorsqu’il apporte tous les ans son bill sur la réforme, ni M. Disraeli, quand il a proposé le sien, ni l’amiral Berkeley, quand il demande le scrutin secret, ni M. Bright, quand il prêche le manhood suffrage ou suffrage universel, ne parviennent à faire discuter sérieusement leurs projets dans la presse, à obtenir l’attention du parlement, à faire agiter la question autre part que dans d’obscurs meetings. Évidemment les grandes et magnifiques réformes qui ont signalé la première moitié de ce siècle, et que l’Angleterre a conquises par la liberté, sans qu’il lui en coûtât, comme ailleurs, aucune révolution : l’émancipation des catholiques, les concessions faites aux dissidens et aux Israélites, la réforme parlementaire, celle de la taxe des pauvres et des corporations municipales, l’abolition des droits sur les céréales, le free trade, le rappel des droits de navigation, et tant d’autres mesures bienfaisantes, en même temps qu’elles donnaient un essor inouï à la prospérité du pays, assainissaient aussi l’esprit public et désarmaient les passions contraires à l’ordre social. Depuis tantôt trente ans et plus, on n’a vu de procès politiques qu’en Irlande, et encore qu’étaient-ils, comparés, soit pour le nombre, soit pour l’importance, avec ce qu’on a vu ailleurs ? La liberté de parole et d’action qui prépare la solution de tous les problèmes d’intérêt public est une des causes comme elle est aussi une conséquence de cette union dont l’Angleterre nous fournit aujourd’hui deux nobles preuves. Si l’on souffre en Europe des suites de la crise américaine, les souffrances qui en résultent ne sont rien comparativement à ce qu’elles sont en Angleterre qui consomme à elle seule quatre fois autant de coton que le continent tout entier. La faim, la faim, mauvaise conseillère, se fait cruellement sentir dans les districts manufacturiers qui sont voués à cette industrie, qu’arrive-t-il cependant ? A-t-il encore éclaté aucun désordre ? Non, nous voyons seu-