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maritime à soutenir. C’est une considération qu’il faut avoir sans cesse présente à l’esprit, comme en pensant à l’Angleterre il ne faut pas oublier qu’elle non plus, pendant ce demi-siècle, elle n’a pas donné la mesure de ce qu’elle pourrait faire dans une grande occasion, et que la faiblesse des résultats obtenus par l’amirauté en retour des sommes immenses qu’elle a dépensées représente seulement une infirmité qui lui est particulière, mais ne permet de rien préjuger sur les forces latentes de la nation.

N’ayant eu à traiter que de la marine militaire, nous avons dû nous occuper exclusivement de ce qui s’est fait chez nous par l’agence du ministère de la marine, — en Angleterre par les mains de l’amirauté. Ce serait néanmoins se tromper étrangement que de prendre les termes produits par ce travail de comparaison comme les exposans de la puissance maritime de l’un ou de l’autre des deux peuples. De même qu’en géométrie il faut trois points pour déterminer un plan, de même la puissance maritime se détermine par trois choses, qui, chacune pour sa part, sont aussi indispensables à la vitalité de cette puissance que chacun des points à la détermination du plan. Ces trois choses sont l’argent, une industrie déjà forte, puis une population de marins qui n’est elle-même qu’une résultante proportionnelle à l’importance de la marine commerciale de chaque peuple. La puissance maritime est en raison du produit de ces trois termes multipliés l’un par l’autre, et si l’un fait absolument défaut, tout l’ensemble reste boiteux, invalide, quelle que soit l’importance des deux autres; il en arriverait comme en géométrie, où la suppression de l’un des trois points du plan ne laisse plus au pouvoir des deux autres que la détermination d’une ligne sans largeur, sans épaisseur, sans profondeur, sans surface et sans solidité. Aussi, quand les affaires d’un pays seront sagement menées, le verrez-vous d’un côté faire tous ses efforts pour développer ces trois élémens de sa puissance, et de l’autre ne pas chercher en temps ordinaire à dépasser les proportions qu’ils lui imposent. L’histoire à la main, on pourrait sans doute démontrer que si dans la guerre par terre les peuples ont parfois réussi en risquant même ce qui semblait être l’impossible, dans la guerre par mer ils n’ont jamais fait que compromettre leur fortune et leur gloire en voulant obtenir plus qu’ils n’étaient autorisés à espérer de leurs ressources normales. En marine, on peut arriver à des résultats très considérables quand on sait ne compter que sur ce que l’on possède réellement, alors qu’on sait l’employer judicieusement : l’histoire de la guerre soutenue en 1812 par les États-Unis contre l’Angleterre, et si bien racontée ici même par l’amiral Jurien de La Gravière[1], démontre victorieusement cette

  1. Voyez la série sur la dernière guerre maritime et notamment la Revue du 1er et du 15 novembre 1846.