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qui n’avaient pas tiré l’épée, pas eu un seul mort, pas un blessé; mais qui buvaient, mangeaient et se divertissaient (tels sont les termes du récit d’Orose) pendant que le ciel se chargeait de tout faire. Malheur à qui fut venu réclamer sa part de gloire contre Dieu! Stilicon se tut. La secousse une fois donnée aux passions religieuses, on vit la polémique, qui avait semblé s’assoupir, se réveiller avec une âpreté nouvelle : les disciples de Symmaque d’un côté, les disciples d’Ambroise de l’autre, recommencèrent la lutte. Augustin lui-même prit la plume, et on agita de nouveau, sous toutes ses faces, en vers comme en prose, la question vitale de l’ancien monde, à savoir si le christianisme était venu le perdre ou le sauver.


V.

Les partis se reconstituèrent donc sous les traits ardens de la controverse. L’exécution de la loi prohibitive des sacrifices ne marchait d’ailleurs qu’à travers des embarras et des luttes dues souvent à la violence des exécuteurs. Un grand nombre d’édifices païens étaient tombés sous le marteau, en Gaule et en Afrique, et le fameux sanctuaire de Vénus Céleste, antique orgueil de Carthage, pris en quelque sorte d’assaut par l’évêque de la ville, venait d’être transformé en église. Cet exemple animait les fidèles et le clergé d’Italie qui accusaient de tiédeur et presque de trahison les conseillers catholiques d’Honorius. Les nouvelles arrivées d’Orient semblaient donner raison aux plus exagérés. Là Jean Chrysostome, mettant de côté le gouvernement et les lois, avait fait directement appel à la milice du désert, pour la destruction de l’idolâtrie. A sa voix, une armée de moines, étrangers au monde et presque sauvages, était sortie des solitudes cénobitiques, la masse ou le levier en main, et parcourait les campagnes de la Palestine, ne laissant après elle que des ruines de dieux ou de temples. « Voilà, disait-on à Ravenne et à Milan, comment il faut servir la foi! » Et les lauriers des moines d’Orient empêchaient plus d’un Occidental de dormir. Pour mettre à l’abri les objets de leur culte, les païens de leur côté construisaient des cachettes dans leurs maisons ou au fond de leurs jardins; tantôt les simulacres étaient transportés dans des cavernes écartées dont on dissimulait l’entrée avec des ronces, mais que les paysans connaissaient; tantôt, dans des spectacles profanes qui se donnaient surtout la nuit, on faisait apparaître tout à coup des images de dieux, et l’on représentait les sacrifices prohibés. En plusieurs lieux, les populations païennes, poussées à bout, prirent les armes et égorgèrent les chrétiens : la persécution appelait la vengeance et le fanatisme répondait au fanatisme.