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d’audace et d’initiative, sauront-ils donner une solution favorable à tous les problèmes économiques posés par la servitude des noirs? Malgré les milliers de nègres asservis, les plantations n’en manqueront pas moins de bras; en dépit de la prodigieuse fécondité des femmes noires, les camps ne cesseront de se dépeupler; les consommateurs du Brésil seront, comme par le passé, obligés de demandeur à l’étranger leur approvisionnement de vivres; le sol continuera de s’appauvrir, et la grande majorité des citoyens réclamera en vain un patrimoine. Qu’on laisse au contraire les colonies allemandes de Rio-Grande-do-Sul et de Santa-Catarina gagner de proche en proche, et bientôt les bras suffiront amplement à la culture; la population s’accroîtra dans une proportion rapide, le Brésil pourra subvenir à son alimentation, et le sol, plus équitablement distribué, s’enrichira aussi bien que ses possesseurs.

Si le Brésil ne peut prospérer que par le travail libre, il est juste d’ajouter que ce même travail libre peut tôt ou tard créer à l’empire une situation des plus périlleuses, tant il est vrai que le bien aggrave le mal avant de le détruire. Autrefois les propriétaires d’esclaves occupaient en force presque toutes les parties du Brésil, et donnaient à l’ensemble de cet immense territoire une certaine homogénéité d’intérêts; de nos jours, l’esclavage est lentement refoulé vers le nord par cette classe naissante des paysans libres qui germe dans les provinces du sud. C’est là une révolution qui peut sembler insignifiante, parce qu’elle s’opère sans bruit; mais elle n’en est pas moins certaine, et l’on peut d’avance en prédire les résultats. On voit se préparer au Brésil ce qui s’est accompli par la force même des choses dans la république anglo-américaine. Là, les états peuplés de citoyens libres se sont peu à peu débarrassés de l’esclavage, et finalement une frontière géographique a séparé les deux fractions du pays. Sous l’influence des mêmes causes, compliquées de haines nationales, le Brésil, jadis possesseur d’une rive de la Plata, a dû se résigner à perdre la province de l’Uruguay, devenue république indépendante : aujourd’hui les propriétaires d’esclaves de Rio-Grande-do-Sul et de Santa-Catarina émigrent vers le nord et sont remplacés par des travailleurs libres; en même temps le nombre des esclaves diminue dans les provinces de l’intérieur et dans celles qui touchent au Paraguay et à la république bolivienne. C’est ainsi que la population se distribue suivant ses affinités naturelles, et que l’esclavage se concentre peu à peu dans les provinces du littoral entre Maranhaõ et Saõ-Paulo. Un cercle de districts où le travail libre se fortifie sans cesse entoure la région compacte et peuplée où se sont cantonnés les propriétaires d’esclaves. Cette séparation graduelle de l’empire en deux régions où les intérêts sont diamétrale-