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nables. Un petit nombre de colonies ont été fondées sous les auspices directs de l’état; mais la plupart des terres sont achetées par des compagnies qui les revendent ensuite aux émigrans en leur accordant cinq années de répit pour le paiement intégral de leur propriété. Ce fut en 1824 que les premiers Allemands, au nombre de 126, débarquèrent à Rio-Grande. Depuis cette époque, les colonies n’ont pas joui d’une prospérité complètement inaltérable : elles ont eu aussi leurs mauvais jours, principalement pendant la guerre civile qui désola la province de Rio-Grande, de 1831 à 1843, et leur ferma toute communication avec la mère-patrie ; mais, comparées au reste du Brésil, elles n’en sont pas moins aujourd’hui dans un état très florissant. Les Allemands et les Brésiliens germanisés par le croisement ont acquis presque sans exception une véritable aisance, et plusieurs de leurs domaines peuvent déjà soutenir la comparaison avec les grandes fermes de la Westphalie et du Thüringerwald : en les visitant, on pourrait se croire en Allemagne. La population des colonies s’accroît dans une proportion très rapide par le surplus des naissances sur les décès, et bien que l’immigration ait fourni seulement de 10 à 12,000[1] habitans à la province de Rio-Grande-do-Sul, celle-ci compte déjà de 35 à 40,000 individus de race germanique. Certains districts, principalement ceux qui forment le centre de la province, ne sont peuplés que d’Allemands, et grâce à cette force d’expansion qui les pousse .sans cesse vers l’ouest, comme elle pousse aussi leurs frères des États-Unis, on peut prévoir le jour prochain où ils occuperont toute la largeur de la province et du Brésil entre Porto-Alegre et le cours de l’Uruguay.

Et non-seulement ils augmentent en population et jouissent d’une prospérité qui se développe sans cesse, mais ils gagnent également en noblesse et en dignité. Les Allemands nouvellement débarqués sont timides, grossiers, lourdement naïfs : gardant encore l’empreinte d’une longue misère et d’un fatigant labeur, habitués à l’obéissance passive par les exactions continuelles de la bureaucratie germanique, ils n’ont en général aucune initiative et ne savent agir que sur l’ordre du directeur de la colonie; mais les Allemands domiciliés depuis longtemps dans la province, surtout ceux qui appartiennent à la génération née sur le sol brésilien, ont perdu le souvenir de l’antique oppression. Fiers, décidés, courageux, ils se rendent désormais le témoignage qu’ils sont vraiment des hommes libres; ils possèdent à un degré remarquable ce sentiment d’égalité qui manquait à leurs pères. Tandis que dans presque tous les pays du monde, aux États-Unis surtout, les Allemands sont rapidement ab-

  1. De 1824 à 1853, 7,491 Allemands ont débarqué dans le port de Rio-Grande.