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Tolluntur in altum,
Ut lapsu graviore ruant[1].


La prédiction allait s’accomplir.

L’invasion de Radagaise avait traversé l’Italie comme une de ces trombes qui laissent après elles plus d’épouvante que de ruines; mais, en passant, elle avait touché la corde mystérieuse qui réveillait toutes les passions de ce siècle. L’étrange et sinistre figure de ce païen, missionnaire des dieux du nord, arrivé on ne savait d’où, comme pour venger les dieux du midi, de ce pontife de Radegast ou de Thor, qui promettait pour consolation à Jupiter abandonné une hécatombe de ses adorateurs, ces sacrifices perpétuels adressés à des puissances inconnues suivant des rites inconnus, cette barbarie du ciel conjurée avec celle de la terre, tout cela avait ébranlé fortement des imaginations superstitieuses. Rome s’était crue perdue. On ne voyait plus dans ses rues, pendant tout le temps qu’avait duré cette guerre, que des troupes d’hommes et de femmes courant comme des forcenés qu’agitent les furies, ou agenouillés, les bras tendus vers des statues mutilées. On n’entendait plus que gémissemens sous les voûtes moisies des temples. « Comment résisterions-nous à un ennemi qui sacrifie, nous qu’on empêche de sacrifier? » s’écriaient les païens avec rage, et alors éclataient les imprécations, les blasphèmes, les menaces contre la religion du Christ et contre les lois des successeurs de Constantin. Les chrétiens, de leur côté, n’étaient pas moins troublés : les faibles et les douteux attendaient avec angoisse que la guerre prononçât entre les deux religions, et les plus fermes esprits n’envisageaient pas sans effroi l’effet moral qu’une défaite produirait pour la foi du monde.

Mais quand cette grande menace se fut dissipée comme un rêve, les chrétiens revendiquèrent l’honneur d’une victoire dont le profit était à eux; plus elle avait été rapide, complète, inespérée, plus elle semblait leur appartenir, plus d’ailleurs elle répondait aux perturbations secrètes qui avaient rempli toutes les âmes. Voir dans les événemens de Florence et de Fésules autre chose que le bras de Dieu exterminant des païens barbares pour confondre les païens romains, ce fut, aux yeux de leurs théoriciens, une erreur favorable au paganisme et, mieux encore, une impiété. Dans ce système, la gloire et les services de Stilicon devenaient un embarras : on les atténua, on les effaça, on les nia. Des versions combinées dans cette intention, et que nous pouvons lire encore, présentèrent ce général et l’armée romaine comme de simples spectateurs de la victoire,

  1. Plus haut on monte, plus rude est la chute.