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Pour attirer au Brésil un nombre considérable de cultivateurs laborieux, le plus simple eût été d’imiter le procédé qui a déjà réussi d’une manière si admirable dans la république américaine. Il suffisait de cadastrer les terres, de les partager en domaines d’une contenance rigoureusement spécifiée, d’en fixer la valeur à un prix modique, de fournir à l’acheteur toutes les garanties désirables, et d’attendre patiemment que les populations faméliques de l’Europe occidentale vinssent profiter de ces champs et de cette indépendance qu’on leur offrait dans les solitudes de l’ouest. le gouvernement brésilien semble pencher vers ce système et l’a même appliqué sur une petite échelle dans les provinces méridionales de l’empire ; mais dans toutes les autres parties du Brésil les propriétaires d’esclaves, qui tiennent seulement à disposer d’un plus grand nombre de bras pour la mise en culture de leurs propres domaines, ne veulent à aucun prix se créer des concurrens dans la personne des émigrans libres : pour recruter leurs travailleurs, ils ont donc en général employé des moyens bien différens de ceux que leur fournissait l’exemple si concluant du gouvernement américain. Les uns ont donné la préférence au système du salaire, qui maintient l’émigrant dans une dépendance pure et simple ; les autres ont choisi le système plus compliqué de la parceria, qui ressemble au métayage, mais qui, dans la pratique, aboutit à de tout autres résultats.

Il est vrai que la condition sociale des métayers et celle des simples mercenaires à gages n’ont en elles-mêmes rien de bien séduisant pour les cultivateurs d’Europe, dont l’idéal par excellence est dans la propriété. La simple annonce des avantages offerts par les planteurs brésiliens n’eût donc pas suffi pour allécher un nombre considérable d’émigrans, si les agens recruteurs envoyés en Allemagne, en Suisse, en Belgique, n’avaient eu soin de vanter les merveilles du Brésil dans les termes les plus enthousiastes. Leurs circulaires, leurs brochures, répandus à profusion, faisaient briller aux yeux des cultivateurs accablés par le besoin la perspective d’une terre généreuse où le bananier, l’oranger, le citronnier, fleurissent presque sans culture, où la misère est à peu près inconnue, où l’aisance vient récompenser les efforts de tous ceux qui consentent à faire œuvre de leurs mains. Pour entrer dans cette terre de promission, l’émigrant n’avait pas même besoin de payer les frais du voyage : le planteur les lui avançait généreusement; il le transportait de Hambourg à Rio-Janeiro, de Rio-Janeiro à la colonie; il le nourrissait pendant la traversée et pendant les premiers mois ou même la première année de son séjour au Brésil. Est-il étonnant que des milliers de pauvres cultivateurs aient prêté l’oreille à ces offres séduisantes? Mais quand ils arrivaient avec leurs familles au lieu de leur destination après avoir coûté à leur patron une somme considé-