Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/395

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

robustes, qui pouvaient se mettre à l’ouvrage dès le jour de leur débarquement. Ainsi ces mêmes noirs à qui on avait déjà ravi la liberté et la patrie étaient, par un surcroît de barbarie insouciante, condamnés au célibat à cause du manque de femmes et périssaient lentement sans se reproduire : la population mâle des plantations se recrutait non par des naissances, mais par de continuelles importations d’Afrique. Actuellement le surplus des noirs inutiles à la reproduction est enlevé graduellement par la mort; mais l’équilibre n’est pas encore rétabli entre les sexes, et les esclaves femelles, dont un bon nombre, il faut le dire, est déjà accaparé par leurs maîtres, ne suffisent pas aux esclaves noirs. En outre la différence des travaux imposés aux nègres amène souvent la séparation des sexes et contribue pour sa part à la diminution de la race. La culture de la canne à sucre et la garde des bestiaux exigent surtout le travail de l’homme; en revanche, l’on emploie dans les caféteries le travail moins coûteux de la femme, et sans comprendre ce qu’offre d’insensé, au point de vue de leur propre intérêt, cette séparation des sexes, les planteurs préfèrent accuser la destinée et cette loi fatale qui a supprimé la traite. Pour comble de malheurs, le choléra, qui n’avait jamais visité le Brésil, a franchi l’équateur en 1855. Depuis lors, cette maladie, qui s’attaque principalement aux noirs, tandis que la fièvre jaune choisit ses victimes parmi les blancs, n’a cessé d’exercer de terribles ravages sur les plantations, et pendant les deux premières années elle a fait périr près de 110,000 nègres. D’ailleurs les mesures hygiéniques les plus simples sont presque toujours négligées par les propriétaires d’esclaves, et la mortalité des négrillons est extrêmement considérable, surtout dans les plantations de l’intérieur. On dit qu’autrefois, lorsque les jésuites du Brésil faisaient cultiver leurs terres par des noirs, la mortalité était moindre de moitié sur leurs négrillons que sur ceux de leurs voisins laïques. Aujourd’hui ceux-ci ont amélioré l’état sanitaire de leurs camps; mais sous ce rapport ils ont encore certainement beaucoup à apprendre de leurs confrères de la Virginie et du Maryland, qui ont amené l’élève des esclaves à la hauteur d’une véritable science.

L’aggravation de l’esclavage est la conséquence naturelle de l’abolition de la traite et de la pénurie des travailleurs. Au lieu de rehausser l’éclat de son faste par une foule de nègres inutiles paradant autour de sa demeure, le planteur économe condamne maintenant aux durs travaux des champs tous ceux qui ne sont pas strictement nécessaires au service de sa personne; il apprend à ne plus gaspiller son précieux capital vivant, et réfléchit longuement avant de rogner l’héritage de ses fils en émancipant un serviteur favori. De son côté, le nègre, qui gagne péniblement quelques reis en travaillant pour son propre compte dans les rares instans de répit qu’on lui accorde,