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sure, qui portait un rude coup à l’aristocratie féodale. Une clause de la convention faite avec l’Angleterre disait que les esclaves arrachés aux négriers ne jouiraient de leur liberté qu’après avoir fait un apprentissage de sept années sous la tutelle d’agens du gouvernement brésilien. Ces agens étaient eux-mêmes des planteurs qui recevaient dans leurs propriétés les nègres nouvellement débarqués, les faisaient travailler comme esclaves, et pour s’éviter l’embarras de les rendre à la liberté avaient soin de leur faire changer de noms avec les travailleurs vieux ou malades. Toutes les fois qu’un de ces derniers expirait, on portait à sa place un des nouveau-venus sur la liste des morts, et de cette manière on se mettait en règle avec l’administration, qui fermait débonnairement les yeux sur toutes ces peccadilles. Cependant il paraît que la loi est aujourd’hui beaucoup plus fidèlement observée, et que la traite des nègres entre l’Afrique et le Brésil a complètement cessé. Le fameux négrier Gordon, dont la mort a si vivement préoccupé les esprits en Amérique, était un de ceux qui avaient réussi pendant les dernières années à faire les plus brillantes opérations sur les côtes brésiliennes.

La cessation de la traite est regardée presque universellement au Brésil comme une grande calamité nationale, et les propriétaires du sol poussent à ce sujet de violentes clameurs. Ils se plaignent de manquer de bras pour la culture de leurs terres, et c’est à cette pénurie de travailleurs qu’ils attribuent l’énorme écart qui se manifeste presque chaque année au détriment de l’empire entre les importations et les exportations[1]. Obligés de laisser en friche d’immenses étendues de terrain qui pourraient leur rapporter des tonnes de sucre et de café, ils prétendent que leur ruine est imminente, que les progrès du Brésil sont enrayés, que la civilisation elle-même est menacée dans son essor. Les possesseurs de mines d’or ou de diamans se plaignent également de ne pouvoir exploiter comme autrefois les immenses richesses qui dorment dans les veines de leurs montagnes et les alluvions de leurs fleuves[2]. Il semble positif en effet que le nombre des nègres esclaves diminue au Brésil. D’ailleurs on ne comprendrait pas qu’il en fut autrement. Les négriers, désireux de gagner 300 francs par tête de nègre importé, ne gaspillaient pas la place si précieuse de leurs fonds de cale en y entassant des femmes ou des enfans qui seraient morts pendant la traversée; ils ne transportaient que des hommes dans la force de l’âge, des travailleurs

  1. C’est ainsi qu’en 1858 la valeur des importations de l’empire du Brésil s’est élevée à 338,539,778 francs, tandis que l’exportation totale ne représentait qu’une somme de 250,110,185 francs.
  2. les mines d’or de la province de Goyaz étaient exploitées autrefois par 100,000 esclaves. En 1855, le nombre des noirs avait été réduit, par les maladies, les traitemens barbares et l’insalubrité de leur travail, à 10,000 environ.