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hésite encore à accorder toute sa tendresse et toute sa confiance à un prince qui n’est ni de même religion ni de même race que ses sujets et dont ils ne connaissent point le successeur. Le protocole du 7 mai 1832 stipule (art. 8) que, le roi venant à mourir sans descendance directe, la couronne passera à ses frères et à leurs enfans; mais la constitution veut que la Grèce soit gouvernée désormais par des souverains orthodoxes. Là est toute la difficulté. Il faudra ou enfreindre la charte constitutionnelle en appelant à la succession un prince bavarois et catholique, ou éluder le protocole en confiant le trône à un allié de la famille impériale de Russie, à moins, ce qui serait certainement plus sage, que la conversion de l’un des frères du roi au culte grec ne vînt concilier sur ce point le protocole et la constitution. Le problème est grave. Il y a longtemps que la Grèce aurait dû le résoudre avec l’assentiment de l’Europe politique.

Ainsi le développement de l’agriculture, la délimitation par le cadastre de la propriété particulière et du domaine public, la réforme radicale de l’administration, la restauration des finances par la surveillance législative et l’acquittement consciencieux des obligations de l’emprunt, l’affermissement du pouvoir monarchique et la continuation du contrôle judicieux des puissances jusqu’à la majorité du pays, le règlement définitif de l’hérédité royale : tels sont les points importans et les questions vitales qu’il convient de signaler à la sollicitude attentive des protecteurs de la Grèce moderne. Elle était, il y a trente ans, sur le point de périr, si l’on peut dire que les nationalités périssent, quand les sympathies de l’Europe chrétienne l’ont secourue et sauvée. Elles ont secondé ses héroïques efforts en lui tendant une main ferme et généreuse; elles l’ont relevée de ses tristes humiliations et de sa longue déchéance, et on peut dire que l’expédition de 1827 a été l’un des plus glorieux épisodes de la mission française en Orient. Le royaume de Grèce a été créé pour soustraire un noble pays au joug à demi barbare de ses dominateurs, pour opposer aux empiétemens de la propagande russe le patriotisme d’un peuple rajeuni et reconstitué. Les puissances occidentales n’ont pas encore terminé leur œuvre : elles n’abandonneront pas la monarchie qu’elles ont fondée en face des périls intérieurs qui la menacent et des vastes perspectives qui lui sont ouvertes.


RENE DE COURCY.