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fait plus ou moins remarquer par l’exaltation de leur caractère, voulut prouver qu’il était atteint de monomanie. Lorsqu’il eut fini son plaidoyer, Dosios se leva, et, s’adressant au jury d’un ton calme et naturel, bien qu’un peu précipité : « Messieurs, dit-il, une promesse solennelle m’a forcé de me taire devant un système de défense que je désavoue absolument; si on n’avait exigé de moi cette promesse, je vous aurais prouvé comment trente ans de tyrannie m’ont imposé le devoir que j’ai voulu accomplir! » Il fallut que son père, qui se tenait à ses côtés depuis le commencement de ces douloureux débats, l’accablât de ses supplications et couvrît son visage de ses larmes pour obtenir qu’il ne poussât pas plus loin cette folle provocation. Déclaré coupable d’attentat à la vie de sa souveraine avec cette circonstance atténuante, qu’il n’était pas en possession de toutes ses facultés mentales au moment où il avait commis le crime, Aristide Dosios fut condamné à subir la peine de la décapitation sur la place de Thésée. Il écouta sans émotion apparente, sans manifester aucun signe de désespoir ou de colère, le verdict de ses juges. Le 10 janvier 1862, un décret du roi, rendu pour satisfaire aux désirs démens de la reine et salué par les unanimes applaudissemens de la nation, commuait le châtiment capital dont le jury d’Athènes avait frappé Dosios en la peine des travaux forcés à perpétuité.

La sympathie que l’opinion publique accordait à ce jeune insensé n’était pas un des plus fâcheux symptômes de la situation difficile dans laquelle se trouvait engagé le gouvernement du roi Othon. Depuis dix-huit mois, on n’entendait parler en Grèce que de conspirations et de complots. Les organes de l’opposition et la presse semi-officielle avaient engagé mutuellement une lutte de récriminations violentes, d’allusions agressives, et la soutenaient avec une infatigable ardeur. Les journaux dévoués à la cour prétendaient que les partis étaient prêts à tout oser et à tout faire ; ils signalaient hautement leurs séditieux désirs et leurs coupables manœuvres. L’opposition, de son côté, protestait hardiment contre la perfidie de ces accusations, imaginées à dessein pour la décrier dans l’opinion publique, et affirmait tous les jours que la justice les aurait bientôt mises à néant, si elle osait être impartiale. Les esprits étaient particulièrement excités depuis la session de 1860, que le roi avait brusquement interrompue par la dissolution d’une assemblée qui s’était montrée indocile jusqu’à la licence. Les nouvelles élections avaient porté à son comble l’agitation du pays. On avait dit bien haut à la nation qu’elle devait se sentir cruellement humiliée par les hardiesses d’un ministère[1] qui ne montrait nul respect pour l’inviola-

  1. Le ministère se composait de M. Miaoulis, chef du cabinet, de MM. Condouriotis et Potlis, représentant l’élément sage et modéré, et de trois autres membres beaucoup plus actifs et passionnés, MM. Crestenitis, Simos et Botzaris, ministre de la guerre. M. Crestenitis remplaçait depuis 1859 M. Zaïmis, qui avait donné sa démission parce qu’il n’était pas d’accord avec ses collègues sur plusieurs questions importantes, et qui était allé grossir les rangs de l’opposition, à laquelle il avait apporté l’appui de sa popularité et de ses talens.