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ciée et qui représenta au congrès de Vérone l’insurrection grecque comme l’œuvre démocratique des carbonari; de là ses complaisances coupables pour Ali-Pacha, la cession qu’elle fit à prix d’argent au grand-seigneur du territoire de Parga et les horribles représailles qu’elle laissa le féroce despote de Janina y accomplir; de là cette neutralité punique qui fut scandaleusement bienveillante pour la Porte, qui ravitailla ses forteresses et ses flottes, qui lui fournit des pilotes, qui recueillit ses vaisseaux dans les ports ioniens, qu’elle ferma constamment aux héroïques matelots de la Grèce; de là en un mot cette déplorable politique dont l’honnête Pouqueville fut l’historien indigné et sir Th. Maitland le représentant inflexible. Le gouvernement de George IV désirait sincèrement sans doute alléger les souffrances de la Grèce, et nous aimons à croire qu’il encouragea de sa tacite approbation ces Anglais illustres qui consacrèrent à la défense de la cause hellénique leur fortune et leur génie; mais il eût fait en sorte que les Grecs, secourus et soulagés, restassent soumis à la Turquie, s’il n’eut craint que le tsar ne les couvrît de ce protectorat menaçant qu’il accordait aux principautés danubiennes.

Le complet affranchissement de la Grèce ne pouvait entrer non plus dans les vues secrètes du cabinet de Saint-Pétersbourg. Il n’y acquiesça pour ainsi dire qu’en désespoir de cause et lorsqu’il lui fut bien démontré que ni la France ni l’Angleterre ne voudraient consentir à ce protectorat religieux qu’il avait rêvé après avoir été contraint de renoncer à la possession. C’était bien la conquête que se proposait l’ambition de la Russie, lorsque la grande Catherine exaltait les espérances des Grecs opprimés et invoquait la fraternité d’une foi commune, lorsqu’elle lançait sur les côtes du Péloponèse ces deux expéditions du faux Pierre III et du comte Alexis Orlof, qui aboutirent à l’incendie de la flotte ottomane dans le golfe de Tchesmé, à la dévastation de la Messénie et au massacre des bandes albanaises; lorsque l’empereur Alexandre accueillait favorablement les Grecs exilés, lorsqu’il leur donnait des grades militaires et des emplois administratifs, lorsqu’il encourageait secrètement les patriotiques imprudences de l’hétairie, afin d’enfermer Constantinople entre la mer et trois révoltes, celle de la Morée, celle de l’Épire et celle des principautés danubiennes; lorsqu’enfin on affectait de donner de jeunes Hellènes pour compagnons d’étude au grand-duc Constantin, et que, pour célébrer sa naissance, on faisait frapper des médailles où de transparentes allégories présageaient ses grandes destinées[1]. Plus

  1. Les unes représentaient les trois vertus cardinales tenant en jeune enfant dans leurs bras, et l’étoile du Nord guidant un vaisseau vers Sainte-Sophie surmontée d’une croix grecque. A l’exergue on lisait ces mots : « Avec elles μετ’αυτῶν (met’autôn) ; » sur les autres, on voyait une ville turque renversée d’un coup de foudre qui partait d’une croix à demi cachée dans les nuages.