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rendre responsable des imperfections sociales contre lesquelles il avait son œuvre à défendre et la Grèce elle-même à protéger. Ces imperfections, que les malheurs de la servitude et les épreuves de la lutte ont naturellement développées, chacun de nous les connaît. Elles sont vieilles comme l’impérissable génie du peuple grec, dont tant de siècles et d’aventures politiques n’ont pu altérer la vivace originalité. Les historiens, les orateurs, les poètes de la Grèce antique nous les ont signalées; nous les retrouvons sévèrement appréciées et fidèlement peintes dans quelques pages ironiques et vraies de l’auteur d’un livre bien connu sur la Grèce contemporaine. « Le peuple grec, dit M. About, aime passionnément la liberté, l’égalité et la patrie; mais il est indiscipliné, jaloux, égoïste, peu scrupuleux, ennemi du travail des mains. » Capo-d’Istria n’a pas corrompu l’inaltérable génie des Grecs. Sa destinée a voulu qu’il engageât la lutte contre les imperfections de ce génie à une époque où l’indiscipline était dans toutes les têtes et la licence dans tous les esprits. Il ne fut pas assez fort pour vaincre, et ses ennemis l’ont injustement accusé d’avoir lui-même déchaîné la tempête qui, après sa mort, a ruiné son gouvernement et son système.

A-t-il porté ses vues jusqu’à la royauté, comme ils lui en ont fait également un reproche? La vérité, sur ce point, nous a paru plus douteuse. Il est certain que les soucis du pouvoir allaient bien à son âme ambitieuse, et qu’il n’envisageait pas sans regret le moment où il allait abdiquer son autorité absolue. On sait que le prince Léopold de Cobourg, actuellement roi des Belges, avait d’abord accepté le trône de Grèce, et qu’il avait presque aussitôt décliné l’honneur de s’y asseoir à cause des conditions auxquelles on voulait assujettir sa jeune souveraineté. Capo-d’Istria avait entretenu avec lui une correspondance qu’on a publiée depuis et dans laquelle on a voulu voir un chef-d’œuvre de diplomatie. Il y peignait l’état des choses sous les couleurs les plus sombres, engageait le prince à se hâter afin de mettre fin à la pesante responsabilité qui l’accablait, et paraissait regarder comme parfaitement convenue la conversion immédiate de Léopold au culte grec. Les impressions que causèrent au prince de Cobourg les lettres du président ne furent pas sans doute étrangères à la décision qu’il prit. Il se peut que ces impressions aient été le résultat d’appréciations habilement calculées, et que le comte Capo-d’Istria ait voulu prolonger indéfiniment son mandat en exagérant à dessein, aux yeux de ses compétiteurs, les inconvéniens et les difficultés qui en faisaient le péril.

Quoi qu’il en soit, au moment où le protocole du 7 mai 1832 confiait au jeune fils du roi Louis de Bavière le poids de cette couronne qu’un des princes les plus judicieux de l’Europe avait dédaignée ou jugée trop lourde, son naissant pouvoir se trouvait en présence des