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gouvernemens de l’Europe. Ils ont appris, par une longue et douloureuse expérience, que, pour garantir la sécurité des sujets chrétiens de la monarchie ottomane, pour étouffer le feu des insurrections qui battent en brèche ses frontières, il ne suffit pas de faire parler avec fermeté et sagesse les ambassadeurs et les consuls, de dicter des hatti-humayoun réparateurs, de mettre au jour, par les travaux des commissions ou les rapports des fonctionnaires, les désordres de l’administration turque et les remèdes efficaces que les intentions libérales du sultan y voudraient apporter. Ils savent qu’il ne s’agit de rien moins que de corriger des abus séculaires et de réformer pour ainsi dire l’islamisme dans ce qui fait son essence, qu’il faut réconcilier des races et des traditions ennemies, faire en sorte que les maîtres de Constantinople soient à la fois tolérans et respectés, les chrétiens armés et obéissans, obtenir en un mot (et c’est là le point difficile) des concessions sincèrement consenties, qui ne servent point elles-mêmes à préparer un dénoûment fatal. Dans cette organisation nouvelle des nationalités qui constituent aujourd’hui l’Orient européen, les Hellènes joueront nécessairement un des premiers rôles. Les traditions de leur histoire et de leur politique, les intérêts de leur commerce les y convient; la longue expérience qu’ils ont acquise des affaires de l’empire turc et qu’ils ont si chèrement achetée, l’influence qu’ils exercèrent longtemps dans les conseils du divan, l’importance de leur culte, que professent en Turquie des millions d’hommes, les y appellent naturellement : ils y sont poussés par cette aspiration patriotique qu’ils nomment la grande idée, que flattent et que patronnent leurs plus intelligens et leurs plus habiles hommes d’état, et qui a entraîné quelquefois leur gouvernement hors des limites de la prudence en faisant franchir à leurs soldats les frontières ottomanes.

La Grèce est-elle bien préparée à ce rôle éminent qui satisferait ses ambitions les plus ardentes et les plus chères? Ne serait-il pas trop lourd pour ses forces administratives et son expérience politique? Est-elle capable de le remplir sans tutelle comme sans danger pour l’honneur du nom chrétien et le repos de l’Europe? Ces questions sont graves en présence des intérêts si importans et si divers engagés au sein de l’empire ottoman. Au moment où les efforts unitaires des principautés danubiennes, les aspirations autonomiques de la Serbie, l’insurrection de l’Herzégovine et du Montenegro, les tendances catholiques d’une partie de la communion bulgare et les frémissemens inquiets de la Syrie sollicitent toute l’attention des puissances chrétiennes, au moment en un mit où d’évidens et nombreux symptômes semblent devoir hâter l’événement si redouté des cabinets européens, il est utile de connaître l’usage que la Grèce