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bataille qu’il avait évitée jusqu’alors. Maître des défilés de l’Apennin occidental et de ceux des Alpes cottiennes, il dominait dans cette position la route de Rome par l’Étrurie maritime, et celle de la Gaule par les Allobroges. Vainqueur, il pouvait prendre la première; vaincu, il faisait retraite par la seconde, et dans sa défaite encore il se trouverait possesseur d’une grande moitié de l’Occident : c’était là son calcul, auquel Stilicon ne se trompa point, et bientôt l’armée romaine vint se déployer en face des Goths dans les champs de Pollentia. Elle se composait des légions, l’élite des forces de l’empire, d’un corps de Goths auxiliaires commandés par le païen Saül, Goth lui-même, et l’un des généraux de Théodose à la bataille de la Rivière-Froide, enfin d’une aile nombreuse de cavaliers alains dirigés par un chef de leur nation. Alaric, habitué à vivre avec des Barbares dont le métier était de se vendre au plus offrant, avait toujours l’argent à la main : j’ai dit qu’il avait gagné beaucoup d’espions parmi les Italiens; il sondait en toute circonstance la fidélité des auxiliaires, et osa même s’adresser au soldat romain. On peut supposer que, durant les jours où les armées furent presque en contact, il multiplia ses tentatives de corruption ; du moins Stilicon, vaguement informé, conçut de l’ombrage contre ses auxiliaires. Ses soupçons ne pouvant atteindre Saül, personnage éprouvé, qui d’ailleurs se croyait au moins l’égal d’Alaric, il les porta sur le chef alain dont il surveilla attentivement les démarches : l’événement vengea le brave auxiliaire d’une injure qu’il ne méritait point. Les deux armées se trouvèrent en présence le samedi saint, qui tombait, en l’année 402, au cinquième jour d’avril : Alaric avait déjà établi son camp, Stilicon traça le sien, et de part et d’autre l’on se tint en repos jusqu’au lendemain.

Située non loin du Tanaro, au-dessus du confluent de ce fleuve et de la Stora, Pollentia, municipe considérable au temps du haut-empire, restait encore au Ve siècle une ville importante. Elle était adossée, du côté de l’est, à une vaste forêt qui longeait le Tanaro dans la direction d’Asti, et que traversait un petit cours d’eau assez bizarrement appelé Urbis ou Urbs, c’est-à-dire la Ville. Cette étrange appellation servit plus tard à expliquer l’oracle d’Alaric, car, aux yeux des païens, il ne fallait pas qu’un oracle, même barbare, pût avoir tort : le Balthe avait pénétré jusqu’à la Ville; irait-il plus loin? On peut inférer des divers mouvemens de la bataille qu’Alaric avait établi son campement en face de Pollentia, sa droite appuyée sur les premiers massifs de la forêt, et sa gauche couverte par la rivière. Au centre probablement, et dans une enceinte de palissades et de chariots, suivant l’usage des Goths, se trouvait le camp proprement dit, qui contenait la femme et les fils du roi, avec son trésor, ainsi que