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peu attrayante pour un jeune prince de goûts nobles et fiers. Dans le voyage dont on lui offrait la perspective, il devait voir, l’une en passant et sans s’y faire connaître, l’autre pleinement et à son aise, les cours de France et d’Espagne, les deux plus grandes, et l’une la plus élégante, l’autre la plus pompeuse des cours européennes. Il adopta avec une fierté satisfaite la proposition de Buckingham, et ils concertèrent ensemble comment ils s’y prendraient pour obtenir le consentement du roi Jacques, « qui excellait, dit Clarendon, à prévoir les difficultés et à élever les objections, mais qui était très lent à les résoudre, et ne savait guère dénouer les nœuds qu’il avait faits. »

Charles et Buckingham l’abordèrent ensemble dans un moment qu’ils jugèrent favorable, et le prince lui demanda d’abord sa parole de ne communiquer à qui que ce fût, avant d’avoir pris lui-même sa résolution, le désir qu’il avait à cœur de lui exprimer, et dont la satisfaction dépendait de sa seule volonté. Le roi, toujours charmé de décider seul et de l’hommage rendu à son pouvoir, promit sans peine le silence qu’on lui demandait. Le prince alors tomba à genoux devant son père et lui exposa avec chaleur le projet pour lequel il sollicitait son approbation. Buckingham restait immobile et silencieux. Jacques, après quelques paroles à son fils, moins vives et moins troublées qu’ils ne s’y attendaient, tourna les yeux vers son favori, comme pressé d’entendre ce qu’il avait à dire. Buckingham se borna à faire valoir l’infinie reconnaissance qu’aurait le prince pour le roi son père, s’il obtenait son consentement, et la profonde affliction que lui causerait un refus. La conversation continua. Charles et Buckingham développèrent toutes les raisons, toutes les bonnes chances de leur dessein. Jacques, sans se faire trop presser, donna son assentiment. Poussant alors vivement leur avantage, le prince et le favori lui représentèrent que la sécurité de l’entreprise dépendait d’une prompte exécution, que toute flotte équipée pour transporter en Espagne le prince de Galles, tout grand cortège pour l’accompagner, toute demande officielle d’une autorisation pour tra- verser publiquement la France, entraîneraient des délais sans fin et détruiraient l’effet de surprise et de reconnaissance qu’il fallait produire; un profond secret, un incognito absolu, deux serviteurs pour toute suite, et un départ si prompt qu’ils eussent traversé la France avant qu’on s’aperçût qu’ils n’étaient pas à Whitehall, c’étaient là, dirent-ils, les conditions et les moyens de succès. Jacques, ainsi pressé, consentit à tout, remettant seulement au lendemain la fixation du moment précis de leur départ et le choix des deux personnes qui devraient les accompagner.

Mais pendant cet intervalle et dans sa solitude tous les inconvé-