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pondait par de grandes marques de respect. Comme il passait un jour devant la maison de lady Jacob dans Drury-Lane, elle se montra pour avoir de lui un salut, à quoi il ne manqua point; mais elle ne fit de son côté aucun mouvement, si ce n’est de la bouche, qu’elle ouvrit toute grande devant lui. Étonné de cette impolitesse, il la regarda d’abord comme l’effet d’un bâillement inopportun; mais, en repassant le lendemain, il n’obtint à ses démonstrations courtoises point d’autre réponse qu’une bouche ouverte. Curieux de savoir pourquoi, il trouva moyen de faire dire à lady Jacob qu’il avait remarqué le fait et qu’il n’en comprenait pas le motif. « Le comte de Gondomar, répondit-elle, a très bien su s’y prendre avec d’autres; moi aussi, j’ai une bouche qui vaut la peine qu’on la ferme. » L’incident ne se renouvela plus. En sa qualité d’étranger, d’Espagnol et de catholique, et précisément à cause de sa faveur à la cour et des procédés trop connus par lesquels il l’obtenait, Gondomar était suspect et odieux au peuple de Londres, qui le lui témoigna plus d’une fois par de bruyantes manifestations autour de sa maison ou contre ses gens. En pareil cas, Gondomar réclamait fièrement une réparation, l’obtenait sans peine du roi Jacques, et n’insistait pas pour qu’elle fût très sévère. Il se remit volontiers à l’œuvre pour le mariage du prince de Galles avec l’infante Marie, prêt à servir en tous sens la politique de sa cour, mais fort aise qu’elle s’accordât dans cette occasion avec les intérêts de son importance diplomatique et de son amour-propre.

A cet habile Espagnol et pour la même affaire, le roi Jacques associa, comme son ambassadeur à Madrid, sir John Digby, qu’il fit plus tard comte de Bristol, moins actif, moins habile en intrigue, moins magnifique que Gondomar, mais judicieux, prévoyant, discret, bon Anglais, quoique sans préjugés et sans passions anti-catholiques, se plaisant en Espagne, où il fut bientôt très estimé, et travaillant sérieusement à faire réussir la mission spéciale dont il était chargé, sans compromettre la politique générale et sans blesser le sentiment public de son pays.

Un événement grave vint compliquer la négociation ainsi rengagée. En 1618, peu après la mort de l’empereur d’Allemagne et roi de Bohême, Matthias, les protestans de Bohême, inquiets pour leurs privilèges et leur liberté religieuse, se soulevèrent contre son successeur, Ferdinand II, prévalurent dans les états réunis à Prague et élurent pour leur roi l’électeur palatin Frédéric V, gendre du roi d’Angleterre, dont ils se promettaient l’appui. Jacques déconseilla vivement, mais en vain, à son gendre l’acceptation de cette douteuse couronne. L’électeur et sa femme, la princesse Elisabeth, étaient l’un et l’autre protestans zélés, ambitieux et imprévoyans. Devenu roi de Bohême, Frédéric eut à soutenir contre l’empereur Ferdinand II et